Roman

Madame L'ambassadrice
(Marc) . (7)

--Mon cher Nelson, voilà la surprise dont je vous ai parlé, dit Ice.

L'homme son verre sur la table basse du salon de réception et lève les yeux sur Sandra. Dans son fourreau corail, elle est éblouissante. Sa chevelure savamment ébouriffé dessine autour de son visage une auréole cuivrée.
--Fabuleux, dit Nelson en laissant échapper un soupir de stupéfaction.
Sandra s'assied en face de lui et le dévisage discrètement. Il est beau. Elle se demande si c'est un simple effet du hasard, ou si toutes les filles ont droit au prince charmant pour leur grande première. L'homme ne la quitte pas des yeux et le désir qu'elle lit sur son visage lui paraît familier, presque rassurant. Elle croise les jambes très haut, découvrant une cuisse douce, et prend un plaisir soudain à jouer avec celui qui devra être son premier client. Sandra sait qu'il est brésilien, homme d'affaires, et qu'elle devra lui parler en anglais. Ice, avec sa froideur coutumière, lui a fait répéter soigneusement sa leçon, pendant qu'elle s'habillait et se maquillait sous le regard critique de celle qui est désormais sa patronne.
Tandis qu'elle s'offre au regard de l'homme, une curieuse sensation envahit Sandra. Elle n'a pas fait l'amour depuis longtemps, depuis plus d'un mois peut-être. Mallowan ne compte pas, elle veut croire qu'il n'a jamais existé.
En parfait maître de ballet, Ice se lève, donnant le signal du départ. Le trio se dirige vers une chambre dans laquelle Sandra n'est jamais entrée. La chambre d'Ice. Elle pense que Nelson Akkar doit être un client bien privilégié pour avoir le droit de faire l'amour dans l'antre de la murène. A moin qu'Ice ne se méfie encore de ses réactions de débutante. Elle préfère sans doute revenir dans son domaine, afin de mieux pouvoir contrôler Sandra.
--Entrer, mon cher, dit Ice en s'effaçant devant l'homme.
La chambre est blanche, nue. Sandra est surprise.Elle s'attendait à quelque palais oriental et vénéneux, à l'image de sa locataire. Au lieu de cela, elle se trouve dans une pièce simple et confortable où trône un lit immense. Sandra pense soudain que cette femme est un mystère. Elles n'ont pas échangé deux phrases depuis son arrivée au café Américain, et Sandra se promet de reconsidérer sérieusement son opinion. Puis elle se rappelle qu'elle va faire l'amour avec Ice dans quelques minutes et son sang se glace dans ses veines. Elle revoit brusquement la chair douce et chaude de May, le plaisir qu'elle a découvert entre ses bras, et elle ne peut se résoudre à revivre cette expérience avec celle qu'elle tient pour sa geôlière.
«Ressaisis-toi, Sandra, se sermonne-t-elle. Les putains ne sont pas là pour prendre du plaisir, mais pour en donner.»
Professionnelle jusqu'au bout, Ice a pris en main le déroulement des opérations. Elle aide Nelson à se débarrasser de sa veste. Ses gestes sont enveloppants, caressants. Sandra se sent rigide, immobile comme une potiche.
«Tu dois faire semblant», ne cesse-t-elle de se répéter.
--Voulez-vous commencer avec Sandra ? demande Ice.
--Volontiers. Nelson a un sourire gourmand.
Sandra n'a pas bougé. Debout près de la porte, elle paraît soudain ne plus comprendre ce qu'elle fait là. Ice s'approche d'elle, la prend doucement par la main.
--A vous de jouer, ma chère, susurre-t-elle.
Mais la pression de ses doigts sur ceux de Sandra est impérieuse.
Sandra s'ébroue, décide brusquement de faire l'amour avec cet homme simplement, comme si elle l'avait rencontré à une quelconque réception et choisi pour amant.
Elle offre son dos au Brésilien et dit d'une voix câline:
--Voudriez-vous dégrafer ma robe, cher ami ?
Une lueur d'apaisement brille dans les yeux d'Ice. Elle est sûre à présent que tout va bien se passer.
Nelson fait coulisser le zip de la robe. Le fin tissu tombe aux pieds de Sandra, qui apparaît en sous-vêtements de fine dentelle blanche. Elle fait face à l'homme, se laisse admirer quelques secondes. Puis ses mains s'accrochent au cou de Nelson et elle l'embrasse fougueusement.
Surpris par ce prélude passionné, le Brésilien sursaute. Mais la langue douce de Sandra fait son effet, et quand elle laisse sa main courir entre les cuisses de Nelson elle sent son sexe déjà dressé. Sans se presser, elle le déshabille, et c'est elle qui l'entraîne vers le lit. Nelson Akkar paraît très excité. Il dégage les seins de Sandra, les malaxe, prend leur pointe dans sa bouche. Lorsque ses doigts s'insinuent entre la soie de sa culotte et celle de sa peau, Sandra, le souffle coupé, sent le désir comme une boule au fond de sa gorge. Elle veut cet homme, et elle se dit que ce n'est pas normal, qu'elle ne devrait pas avoir envie de lui.
Ice s'est dévêtue. Debout près du lit, elle surveille les ébats du couple. Elle sait que son client ne va pas tarder à lui demander d'entrer en scène. Il aime tellement les femmes qu'il prend encore plus de plaisir à les regarder se caresser qu'à les posséder.
La respiration de Sandra se fait haletante. Les yeux clos, elle attend que l'homme la prenne. Tout en la caressant, Nelson la regarde avec un sourire attendri, indulgent.
--Ice ! appelle-t-il.
Elle s'approche, échange avec le Brésilien un regard complice.
--Voilà, une surprise que je n'aurais voulu manquer pour rien au monde, murmure Nelson en continuant à caresser Sandra

Ice se penche, ramasse près du lit une longue boîte noire qu'elle ouvre. Elle regarde les cinq godemichés de tailles et de matières différentes, en choisit un qui imite à la perfection la texture d'un phallus et l'attache autour de sa taille, sans retirer la ceinture qui tient ses bas.
Engluée dans le plaisir, Sandra n'a toujours pas ouvert les yeux. La main de l'homme caresse son sexe gonflé. Elle sent soudain un poid sur son corps. Ses hanches se tendent vers le pénis qu'elle devine. Elle ouvre les yeux pour regarder son amant et s'aperçoit de la substitution. Nelson Akkar s'est éçarter, laissant la place à Ice. Une lueur de panique passe dans les yeux de Sandra. Mais Ice ne lui laisse pas le temps de réagir. D'un violent coup de reins, elle la pénètre.
Le désir est plus fort que la surprise. Sandra se laisse aller. Son sexe enveloppe le pénis artificiel qui la fouille, ses hanches viennent se coller à celles de la femme qui lui arrache des gémissements.
Assis sur le bord du lit, Nelson se caresse lentement. Ses yeux semblent rivés aux deux triangles sombres qui s'élancent l'un vers l'autre, telle deux balançoires folles. Un parfum lourd de corps échauffés monte dans la chambre. Sandra jouit en criant. Comme à un signal, Nelson vient se placer derrière Ice et la prend tandis qu'elle continue de plonger sa verge artificielle dans le sexe de Sandra. Plus son amante semble jouir, plus Ice se déchaîne. C'est à peine si elle a remarqué que Nelson la tient au bout de son sexe.
Épuisée, vaguement écoeurée mais le corps repu, Sandra voit pour la première fois le visage d'Ice se départir de son masque sévère. La patronne du café Américain paraît avoir oublié son client, sa maison, sa vie. Les yeux clos, elle sourit.


--Je préférais ne rien te dire avant. J'avais peur que tu t'affoles. Mais elle fait toujours ça avec celles qui commencent. Et toujours avec Nelson. C'est un bon moyen pour elle de prendre son pied, tout en surveillant la fille.
Laure tend un verre d'orgeat à Sandra qui, allongée sur son lit, contemple le ballet des mouches au plafond.
--C'est aussi la meilleure façon de mettre tout de suite la fille dans le bain, continue Laure.
Elle ouvre les volets, et la chaleur de l'après-midi s'engouffre dans la pièce. Un parfum de jasmin flotte dans l'air lourd. Laure se tourne vers Sandra.
--Mais enfin, quest-ce que tu as, Sandra ? Réponds-moi !
--Je me moque de ce que tu racontes, Laure, et tu le sais. Il n'y a qu'une seule chose que j'ai envie d'entendre.
Laure baisse les yeux et se détourne. Par la fenêtre elle voit trois mouettes tournoyer dans le bleu, silencieuses. Laure se mord la lèvre inférieure, et sur une brusque volte-face :
--J'ai appelé ton mari.
Sandra tressaille.
--Alors ? demande-t-elle dans un souffle.

--Pas d'abonné au numéro que vous avez demandé...Je suis désolée, Sandra.



Une vie en vaut une autre, et celle de putain n'est pas si désagréable, se répète Sandra chaque matin. Elle s'est habituée à ce lent écoulement des heures, rythmé par le retour régulier de l'Américain qui ne lâche jamais son chewing-gum, du banquier marocain qui ne s'intéresse qu'au bas de son dos et des cadres français en goguette à Casablanca, à l'occasion d'une quelconque convention, pour qui aller au bordel en groupe est une fête. Sandra découvre des réalités que son enfance cloîtrée à Rambouillet et son expérience de femme de diplomate ne lui avait jamais laissé soupçonner : les hommes vont régulièrement voir des prostituées, et les plus ardents clients ne sont pas forcément des malades sexuels. Elle s'efforce de se perdre dans l'observation de son univers pour ne pas penser à sa vie qui se désagrège, pour s'éviter de se poser les questions qui la rongent. Ice a l'air maintenant de lui faire confiance, pas encore assez cependant pour l'envoyer voir les clients à l'extérieur. Mais elle sait qu'elle a appris à donner du plaisir au hommes de passage et que parfois ils le lui rendent. Certains clients sont doux et gentils, et pour ceux-là elle se dépense sans compter. D'autres sont plus exigeants, parfois même tyranniques, et n'otiennent que le minimum. Mais Sandra a remarqué que tous, sans exception, se comportent dans les bras d'une prostituée comme chez le psychanalyste : ils abandonnent leur réserve et se livrent sans honte.
Dans cet univers de femmes, où Sandra se sent à présent intégrée, l'homme redevient une sorte d'enfant qu'il faut choyer, protéger, entourer.
Lorsqu'elle y réfléchit, Sandra se dit que le rôle de putain et celui d'épouse de diplomate ne sont pas si éloignés l'un de l'autre. Ces femmes servent des hommes, les unes sexuellement, les autres en tant qu'objet de pouvoir. Et parfois Sandra n'est pas loin de penser que les premières, qui se font payer pour leurs services et font honnêtement leur travail, exercent un métier aussi honorable que les dernières. Elle se surprend même à aimer ce qu'elle fait, quand le client est agréable, et cela lui fait peur.
Laure lui a dit souvent, comme pour la consoler :
--Elles y viennent toutes, même les pures et dures. Au bout d'un moment, on s'habitue à cette vie. On s'y installe.
Sandra ne veut pas s'y installer. Et, tandis qu'elle se prépare pour la soirée, elle se persuade qu'il faut lutter contre cette formidable faculté d'adaptation, cette résignation facile qui lui a fait accepter son sort, qu'il faut sortir d'ici, ne serait-ce que pour résoudre l'énigme de sa présence en ce lieu. Parler à Marc. Lorsqu'elle pense à lui, une brume de haine brouille son cerveau. Une partie d'elle se dit qu'il l'a abandonnée, qu'il lui a peut-être même tendu un piège. Pourtant, elle ne peut s'empêcher d'imaginer son mari la cherchant aux quatre coins du monde, remuant ciel et terre pour la retrouver.
--Tu sais qui on a ce soir ?
Madie vient de faire irruption dans sa chambre, tourbillon de taffetas vert et rouge.
--Non, raconte ?
Sans se retourner, Sandra continue à ourler ses lèvres d'un trait de crayon brun. Elle a l'habitude des entrées spectaculaires de Madie, qui s'encombre rarement de formules de politesse.
--Toute l'ambassade américaine, ma belle ! Tu te rend compte ? Quelle promotion pour Ice ! C'est la première fois qu'ils viennent ! Je peux t'assurer qu'elle est sur des charbons ardents. On l'entend aboyer d'ici.
Sandra tend l'oreille. Effectivement, des cris étouffés lui parviennent malgré la porte fermée. Un tintement de vaiselle. Les filles prudentes, ont dû se réfugier dans leur chambre. Et c'est la pauvre Zina qui semble être la cible de la colère d'Ice. La patronne du café Américain est encore plus effrayante lorsqu'elle parle en arabe, cette langue douce-dure, qui dans sa bouche devient cinglante comme un fouet.
--Je suis prête, déclare Sandra en se levant. Viens, Madie, allons voir ce qui se passe.
--Tu es folle ! Moi, je reste là jusqu'à ce qu'ils arrivent.

Sandra penche la tête de côté, adresse un sourire enjôleur à la petite brune.

--Allons, grande lâche, tu me laisserais affronter ça toute seule ?

Madie fait la moue, puis éclate d'un rire frais. Elle passe son bras sous celui de Sandra, et toute deux se dirigent vers la grande pièce où les clients font leur choix.
Les cris se font plus forts à mesure qu'elles approchent du salon. Sur le seuil, Sandra et Madie contemplent une scène étrange : Ice, telle une furie, tourne autour de la petite bonne arabe en l'invectivant. Zina, à quatre pattes sur le boukhara, ramasse à pleine main les débris de cristal de ce qui, quelques minutes auparavant, constituait un service à liqueur.
L'arrivée des deux filles semble détourner la colère d'Ice.
--Qu'est ce que vous faites là ? Retournez dans vos chambres vous préparer.
Madie fait mine de reculer, se dissimulant à moitié derrière Sandra. Cette dernière s'agenouille et commence à rassembler les morceaux de verre.
--Nous sommes prêtes, Ice, dit-elle d'une voix calme.

Ice reste immobile quelques secondes, soufflée par tant d'audace. L'espace d'un battement de cils, les deux femmes se défient du regard, puis, au grand soulagement de Sandra, Ice tourne les talons et se dirige vers son bureau.
Zina retire du tapis les derniers débris de verre, qu'elle dépose dans un grand seau. Elle se redresse et trotte vers le hall. Au dernier moment, elle se retourne.

--Merci, souffle-t-elle très vite.
Puis elle disparaît vers la cuisine.

Madie pousse un long soupir.
--Ben, dis donc...
--Si tu te voyais ! lance Sandra dans un rire. On dirait que tu vien d'avaler un bocal de poissons rouges !



A neuf heures, toute les filles se trouvent réunies dans le salon. Elles sont douze, rassemblées par petits groupes, et bavardent tranquillement tout en sirotant du coca ou de l'orgeat. Les pensionnaires n'ont pas le droit de boire de l'alcool. Ce privilège est réservé aux clients qui arrivent parfois avec une caisse de champagne, du whisky ou du gin. Magestueusement, Ice est assise dans son grand fauteuil en rotin, qui lui dessine comme une corolle autour de la tête. Elle n'a fait aucune allusion à l'incident qui l'a opposée à Sandra, mais celle-ci connaît assez bien Ice à présent pour savoir qu'il y aura des représailles. Il y en a toujours, même si elle tardent. La dame en rouge n'oublie rien.
La première partie de la soirée est réservée à l'ambassade américaine. L'un de ces membres, client régulier du café américain, a décidé de montrer à ses amis et collègues comment bien vivre à Casablanca, ce qui réjouit Ice, ainsi que les filles. Les soirées de groupe sont plus détendues, plus familiales, et leur demandent moin d'efforts.
Lorsque les six hommes arrivent, Ice se précipite au-devant d'eux. John Gavin, l'habitué, fait les présentations. Il connaît toutes les filles, au sens biblique du terme. Sandra se dit qu'il a dû faire un petit topo sur chacune d'elles à ses amis, et s'amuse un instant à deviner comment il l'a décrite.
Un semblant de conversation s'engage. Ice parle de la situation internationale, Zina sert ces messieurs. Les filles bavardent, montrent leurs jambes, déploient leurs charmes. Sandra observe. Elle éprouve soudain la sensation curieuse d'être du mauvais côté de la barrière. Il n'y a pas si longtemps, elle se trouvait dans les salons d'une ambassade, avec ces hommes ou leurs semblables. Libre. Peut-être même heureuse.
Un homme s'approche d'elle. Grand, brun, le regard bleu. Il s'incline légèrement devant elle.

--Je me présente : Philip Dern. Je voudrais faire l'amour avec vous.
Toujours courbé en deux, il jette à Sandra un regard malicieux et interrogateur.

Sandra éclate d'un rire cristallin.

--Je suis toujours surprise par la franchise des Américains...et par leur impatience.

--Oh ! je vois que je suis tombé sur une experte, raille-t-il. Il est vrai que vous semblez posséder toutes les qualités de l'ethnologue. Depuis tout à l'heure, je vous regarde observer.
--Est-ce pour cela que vous m'avez choisie ?
Philip Dern laisse son regard courir sur le buste de Sandra, effleurer sa taille, glisser le long de ses jambes.
--Pour cela, oui..., et deux ou trois autres choses.
Sandra rit de nouveau. Elle le trouve amusant. Il n'est pas véritablement beau, mais possède le charme des hommes décidés.
--Eh bien, soit, déclare Sandra, ouvrons le bal.
Elle se lève, se dirige vers la galerie extérieure qui mène aux chambres.
Les autres les regardent s'éloigner en riant.
--Sacré Dern..., toujours pressé ! lance John Gavin. Prends ton temps, vieux, tout est payé ! ajoute-t-il avec un rire gras.
Dern a rejoint Sandra et marche à présent à ses côtés.
--Excusez-le. Je l'ai toujours trouvé un peu vulgaire.
--Il est inutile de prendre tant de précautions, dit Sandra d'un ton un peu sec. Nous sommes là pour ça, mes camarades et moi.
Philip Dern se tait. ils entrent tous deux dans la chambre de Sandra.
--Avez-vous une préférence ? demande négligemment Sandra en commençant à dégrafer son corsage.
--Oui. Je veut que vous restiez habillée.
--Comme il vous plaira, dit-elle, légèrement sarcastique.
Pourquoi cet homme réveille t-il ainsi sa colère ? Parce qu'il lui rappelle trop son passé ? Elle ne veut pas trouver de réponse et s'allonge sur le lit. Visiblement, Philip Dern est du genre conquérant. Il convient de lui laisser l'initiative.
Silencieusement, l'homme s'assied près d'elle. Il la déshabille lentement, goûtant chacun de ses gestes pour lui-même autant que pour les beautés qu'il révèle. Sandra regarde les mains de Dern effleurer son corps, jouer avec ses seins, frôler son ventre et le triangle sombre entre ses cuisses.

--Mets-toi debout. Je voudrais te regarder.
Sa voix est rauque et le désir la fait légèrement trembler.

Une fois de plus, Sandra note l'instant du tutoiement, cet instant où le client, l'homme, la sent devenir objet docile. Elle essaie de se représenter la sensation de puissance qui s'empare du mâle devant une prostituée, une femme qu'il paie pour obéir au moindre de ses désirs. Sensation de puissance, oui. Mais vulnérabilité totale. Qui domine réellement l'autre, au jeu des sens ?
Elle se lève, arpente la chambre d'une démarche souple. Sa poitrine se soulève au rythme de ses pas. Elle s'arrête à deux centimètres du visage de Dern. Alors, il enfouit sa tête entre les seins de Sandra, s'empare de son corps.
Philip Dern fait l'amour avec force et tendresse. «comme à une vraie femme», pense Sandra. Elle devrait se laisser aller, mais elle ne le peut pas. Elle devrait jouir «comme beaucoup d'hommes, il fait tout pour cela», mais elle ne peut pas. Et, lorsqu'elle sent qu'il va éjaculer, les larmes se mettent à couler sur ses joues.
Philip Dern pousse un cri bref et retombe inerte sur le corps de Sandra. Oublieux d'elle, il savoure l'intensité de son orgasme. Lorsqu'il revient à la réalité, il aperçoit le visage douloureux de Sandra, qui essaie de contrôler ses pleurs mais n'y parvient pas.
--Voyons, que se passe-t-il ? Je vous ai fait mal ?
Il lui caresse gentiment le visage, elle sanglote de plus belle. Vaguement inquiet, il se redresse.
--Voulez-vous que j'appelle quelqu'un ? Que dois-je faire ?
Il commence à s'affoler et Sandra, au prix d'un effort terrible, parvient à ravaler ses larmes.
--Ce... Ce n'est rien, hoquette-t-elle. C'est... nerveux.
Puis se redressant bravement :
--Ne vous inquiétez pas. Tout va très bien maintenant.
--Vous m'avez fait peur, dit Dern en se rasseyant sur le lit. Comment vous appelez-vous ?
--Sandra. Mais est-ce bien important ?
--Sandra...
Il lui caresse à nouveau le visage puis commence à se rhabiller. Il paraît soudain mal à l'aise.
--Comment dois-je faire pour le... pour la...
--Cela concerne Ice. Et puis, votre ami l'a dit, tout est payé.
--Bien. Excusez-moi, je ne suis pas très familiarisé avec ce genre de... de...
Sandra ne dit rien, le laissant se débattre. Il rougit en renouant sa cravate. Lorsqu'il est prêt, il se penche vers elle, dépose un baiser chaste sur sa joue et se dirige vers la porte. Il tourne la poignée puis s'arrête et la regarde.
--Dites-moi, Sandra..., qu'est-ce qu'une fille comme vous fait dans un endroit comme celui-là ? Vous valez mieux que ça.
Elle lui lance un regard de surprise puis éclate d'un rire aigu. Il s'enfuit sans refermer la porte derrière lui.


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