Deux mois déjà. En défaisant sa valise, Sandra se remémore le crescendo de sensations, de découvertes qui ont empli sa vie durant ces huits dernières semaines. James et Marc. Marc et James. Les deux tête d'une même hydre. Non sans tristesse, elle les a abandonnés pour les traditionnelles vacances à Juan-les-Pins. Néanmoins, le plaisir de se retrouver dans la grande villa blanche et fraîche, qui porte dans chaque objet, dans la pierre même des murs, l'empreinte de sa mère, estompe ses regrets.
Elle se sent bien dans cette maison claire et simple, décorée par Anna de Moncet dans un style résolument moderne. Le mobilier confortable, stylisé, contraste résolument avec celui de Rambouillet. Jusqu'au jardin envahi de chèvrefeuille et de magnolias qui respire la liberté.
- --Libre ! hurle Sandra en ouvrant la fenêtre de sa chambre qui donne sur la promenade et, par-delà les pins et les palmiers, sur la mer.
Adieu Rambouillet et Rambolitains ! Adieu, Crepau le libraire et sa librairie, Adieu, jeunes filles en anglaises sages, et boutonneux à lunettes. Adieu, curé : adieu, les prie-Dieu des de Moncet, à droite de l'autel, et cette place toujours vide depuis cinq ans. Adieu, les interminables litanies dominicales. Sandra ne veut plus penser qu'à ces trente jours qui sont devant elle comme une oasis dans sa vie aride.
Elle essuie ses cheveux encore humides. A peine arrivée, elle n'a pu résister à l'appel de la mer. Elle est en train d'ôter le soutien-gorge de son maillot de bain et d'enfiler un tee-shirt quand Adèle, son unique chaperon pour tout le mois d'août, frappe et entre.
- --Eh bien, Adèle, tu commences à apprendre les bonnes manières ?
- --Sandra, sois polie, veux-tu ? Et habille-toi. Ton oncle vient d'arriver.
- --Gregory ? Déjà ! Formidable.
Elle bouscule Adèle et se précipite vers le salon bleu et blanc.
- --Sandra, ta tenue...
Mais elle ne l'entend plus. Elle dévale les marches qui mènent au living en contrebas. Un homme à la stature imposante, tout de blanc vêtu, l'y attend, les bras ouverts.
- --Gregory ! ( elle lui saute au cou ). Comment as-tu su que j'étais là ?
- --Doucement, Tsarina ! Tu vas me faire tomber ! répond l'homme au visage rayonnant.
Il a des cheveux argentés, une allure naturellement autoritaire. Pour Sandra, c'est un magicien, qui lui a ramené des steppes ce surnom qu'elle adore, qui est entre eux comme un code secret, un signe de reconnaissance.
- --Tu sais bien que j'ai mes espions, enchaîne-t-il en faisant tourner la jeune fille tout autour de la pièce.
Elle rit et des images heureuses de son enfance lui remonte à la mémoire. Son oncle l'emmenant au cirque pour la première fois, puis mimant à lui tout seul le numéro des clowns dans la voiture qui les ramenait à Rambouillet. Gregory s'écroulant sur ses skis en essayant de lui apprendre le chasse-neige et entamant une formidable bataille de boule de neige pour se venger d'elle qui ne pouvait plus s'arrêter de rire. Gregory, encore, lui passant le volant de sa jaguar en plein Paris parce qu'elle lui avait dit qu'elle voulait apprendre à conduire, puis tentant d'expliquer au commissaire qu'il avait eu un malaise, que sa nièce avait voulu arrêter le véhicule, et qu'aprè tout ces bornes lumineuses au milieu de la chaussée, que la voiture avait accrochées, ne servait pas à grand chose. Il lui apparaît alors que la plupart de ses bonheurs d'enfant, ces moments d'exception qui s'impriment dans la mémoire, sont liés, non pas à ses parents et au pays exotiques qu'ils lui ont fait connaître, mais à ce personnage, surgissant dans sa vie à chaque étape difficile.
Adèle a rejoint Sandra. Elle contemple cette scène de retrouvailles avec l'air du teckel qui vient de se faire voler son os par le terre-neuve du voisin. Gregory Aladin fronce les sourcils et repose sa nièce à terre.
Brusquement dégrisée, Sandra jette à son oncle un regard implorant. Il lui fait un clin d'oeil.
- --Viens, je t'offre une gaufre. Tu aimes ça, n'est-ce pas ?
- --Tu vas voir ! répliqua Sandra, et elle se rue vers la porte d'entrée.
Gregory a un petit haussement d'épaules en direction de la gouvernante.
- --A tout à l'heure, Adèle, lance-t-il avant d'aller rejoindre la jeune fille.
Bras dessus, bras dessous, ils se dirigent vers la petite baraque à gaufres, un peu plus loin sur le front de mer. A trois heure de l'après-midi, la plage est envahie par les baigneurs. Quelque part, un transistor débite le dernier hit d'un groupe de rock anglais.
- --and when i'm with you i can't control my self..., fredonne Sandra.
- --Hé ! Tsarina, tu as fait des progrès en anglais depuis notre dernière rencontre !
- --J'ai eu un bon professeur. Un Américain...Mais parle-moi plutôt de toi, Gregory. Es-tu toujours le roi des affaires ?
- --Plus que jamais ! Un jour à Hong Kong, le lendemain à New York. Je façonne le monde à mes caprices.
Dans le regard de Sandra passe une brève lueur d'admiration. D'envie aussi.
- --Et maman ?
Le ton est faussement dégagé. Aladin semble soudain se tasser.
- --Toujours rien. Pas la moindre nouvelle.
- --Ah ! dit simplement Sandra.
- --Tu sais bien que je t'aurais prévenue s'il y avait eu du nouveau. Tu connais ta mère, Sandra, fantasque et imprévisible ! Si elle ne donne pas signe de vie à sa fille, je ne vois pas pourquoi elle prendrait la peine de téléphoner ou d'écrire à son frère.
- --Regarde, voilà le marchand de gaufres ! s'écrie Sandra. J'ai l'impression qu'il va falloir se battre pour en manger, ajoute-t-elle, soulagée de changer de sujet de conversation.
Autour de la baraque de bois s'agglutine une nuée d'adolescents bruyants. Ils sont bronzés, sûrs d'eux. De chaque maillot de bain dépasse un peigne, un paquet de gauloises, un briquet zippo.
- --Attends-moi là, Sandra, dit Gregory, en homme habitué à commander. Tu les aimes toujours avec de la crème et beaucoup de sucre ?
- --Oui Gregory, toujours !
Et, avec assurance, elle plante son oncle sur le bord du trottoir. D'un air de défi, elle se dirige vers le comptoir. Ses narines frémissent. Sous le coton blanc, ses seins libres oscillent doucement. Les garçons la regardent s'approcher, suivent le balancement de ses longues jambes.
- --Vise un peu la nana ! dit un grand blond qui mâchonne un chewing-gum, en donnant un coup de coude à son voisin.
- --Ouais, bandante ! répond le copain en lissant les trois poils qui lui servent de moustache.
Imperturbable, Sandra continue son avance parmi la meute des loups. Certains émettent un sifflement léger, d'autres la dévorent déjà des yeux. Tous s'écartent pour la laisser passer.
- --Deux gaufres, avec crème et sucre, annonce-t-elle.
- --Bien mademoiselle, répond l'Italien avec un petit sourire.
Il tartine les gaufres brûlantes de chantilly, puis les lui tend, enveloppées dans un papier blanc. Derrière elle, le cercle s'est refermé. Les garçons murmurent, un bras effleure le sien. Dans son dos, elle sent la brûlure de leurs regards. Elle fait volte-face et rejette sa crinière rousse en arrière. Royale, elle écarte les garçons d'un regard et, triomphante, elle dépose une gaufre entre les mains de son oncle. Derrière elle, un choeur de sifflets se déchaîne. Sandra réprime un sourire.
- --Jeune fille, d'où te vient cette soudaine assurance ? demande Gregory.
Pensif, il la dévisage.
- --C'est l'air de la mer, mon cher oncle, répond-elle, le nez barbouillé de crème chantilly.
Mais Gregory Aladin n'a plus envie de plaisanter. Il regarde Sandra comme s'il la voyait pour la première fois.
- --Amuse-toi bien, et dis à ton oncle de ne pas te ramener trop tard. Souviens-toi qu'une de Moncet...
- --Oh ! pas ce soir, Adèle, je t'en prie.
Sandra vérifie une dernière fois sa tenue dans le miroir de l'entrée. Sa robe de soie blanche a juste la bonne longueur, celle qui fait frémir Adèle, et cette fente sur le côté dévoile une cuisse lisse et dorée par quatre jours de plage, filant jusqu'aux escarpins blancs, ouverts sur le devant, qu'elle met pour la première fois. Sa masse de cheveux auburn et bouclés lui donne cet air à la fois romantique et pervers qui la distingue de la plupart des jeunes filles.
Satisfaite de son image, Sandra sort de la villa et se dirige vers le portail de bois blanc qui ferme le jardin. Adèle la suit, la regarde monter dans la grosse Jaguar conduite par le chauffeur de Gregory Aladin, qui démarre dans un ronronnement sourd. Ce n'est que lorsque les feux arrière du véhicule disparaissent sur le front de mer qu'Adèle regagne la grande maison vide.
Enfoncée dans les profonds sièges de cuir fauve, Sandra frémit d'impatience. C'est la première fois que son oncle l'invite à l'une des soirées qu'il donne régulièrement sur son yacht, le
Rosebud. Et elle se dit que l'incident des gaufres n'est pas sans rapport avec cette brusque décision. Tandis que la voiture roule en direction du port, elle se prend à souhaiter que Gregory soit son père. Alors elle n'aurait pas eu à habiter Rambouillet, à partir en vacances, à se séparer de James... Cette pensée soudaine la fait frissonner. Mais, en petit animal instinctif, elle s'éfforce de créer le vide dans son esprit. Ce soir, elle fait ses premiers pas d'adulte, et quelque chose en elle lui dit que c'est un jeu solitaire.
Lorsque la Jaguar s'arrête sur le port, Sandra est prête à affronter le monde. Le chauffeur vient lui ouvrir la portière et la conduit jusqu'à la petite vedette blanche amarrée au quai. Anonyme et silencieux, un marin l'aide à embarquer, puis la vedette s'éloigne de la terre, Sandra se laisse aller contre le siège de bois. Elle respire l'odeur de la nuit, de la mer, ferme les yeux pour mieux entendre le bruissement de l'eau que le moteur de l'embarcation ne parvient pas à couvrir. Le vent chaud lui apporte des bouffées de musique. Droit devant, se découpe la silhouette du
Rosebud, illuminée comme un sapin de Noël. L'orchestre joue un swing. Les rumeurs de la fête montent vers elle, bulles fragiles qui éclatent contre son oreille.
La vedette vient se garer contre l'échelle de coupée. Elle remarque plusieurs lanternes chinoises suspendues au bas bastingage. A présent, le bruit l'enveloppe entièrement, cliquetis de verres s'entrechoquant sur fond de voix. En haut de l'échelle, un homme en smoking blanc l'attend. La lumière des lanternes joue sur le visage de son oncle, fait briller les yeux noirs, légèrement bridés, comme les siens. Pendant une seconde elle voit un étrange capitaine échappé d'un conte oriental. Gregory Aladin lui tend la main et la hisse à bord.
- --Bonsoir, Tsarina.
- --Bonsoir, Gregory.
Ils échangent un sourire complice. Gregory dépose une coupe de champagne entre ses mains puis l'entraîne au coeur du tourbillon humain. Il la guide parmi ses invités, curieux mélange d'homme d'affaires, oisifs et d'artistes, déposant au creux de son oreille des noms, des fonctions et quelques commentaires acidulés, comme autant de perles dans sa paume blanche. Elle absorbe des visages d'hommes aux regards lourds, aux mains fébriles, des silhouettes de femmes élégantes, rutilantes de bijoux. Elle ne retient qu'un nom, celui de May, grande brune voluptueuse qui lui r'appelle Ava Gardner. May est l'amie de son oncle. Et, lorsque ce dernier est happé par un groupe de convives exubérants, May la prend par le bras. Elles s'adossent toutes deux contre la cabine. Ivre de sensations, Sandra hume l'air à petite goulées. Une odeur de peinture fraîche, de sel et de cordage se mélange aux parfums des élégantes qui tourbillonnent sur le pont. May la regarde en sirotant son verre de champagne. Au premier coup d'oeil Sandra lui a plu, avec son allure de petite lionne mâtinée de gazelle, subtil mélange de force et de tendresse.
- --Gregory m'a si souvent parlé de vous que j'ai l'impression de vous avoir toujours connue, Sandra, dit-elle.
Puis :
- --Au diable ce vous ! j'ai envie de te tutoyer ! D'accord ?
- --D'accord, répond Sandra.
Et elles trinquent à leur nouvelle amitié.
- --Les hommes n'ont d'yeux que pour toi, Sandra, murmure May, malicieuse. Regarde celui-là,avec son monocle. Il te guette depuis que tu est arrivée.
Un gros homme, engoncé dans son smoking, titube vers les deux femmes. A chaque hoquet, son monocle tombe, et il le remet en place consciencieusement. Il s'arrête devant Sandra, tangue un instant, puis éructe :
- --Mademoiselle, c'est une valse !
Et, sans lui laisser le temps de protester, il la prend par la taille et l'entraîne sur le plancher glissant. Sandra se trouve plaquée contre un ventre mou. Une main moite se colle à son bras. Une autre descend le long de son dos. Elle a l'impression d'étouffer. Une haleine chargée d'alcool flotte jusqu'à ses narines.
- --Vous dansez bien, bredouille l'ivrogne.
- --Comment pouvez-vous le savoir ? dit Sandra sèchement. Nous ne bougeons pas. Nous tanguons sur place !
Brusquement tiré de son brouillard éthylique, l'homme la lâche une seconde, penche vers l'arrière en rajustant son monocle. Il paraît offensé.
C'est le moment que choisit May pour se glisser entre les deux danseurs. Sandra recule.
- --Mais la valse n'est pas terminée, bredouille son cavalier.
May est fermement plantée devant lui.
- --En ce qui vous concerne, monsieur Pigon, elle l'est ! Cette demoiselle est attendue ailleurs.
- --Mais... Mais...
- --Vous voulez danser, monsieur Pigon ? Eh bien, dansez avec moi !
Le dépassant d'une bonne tête, May enroule ses bras autour du gros homme. Elle esquisse un pas de côté. Tandis que Pigon, stupéfait, suit la cadence qu'elle lui impose, May sourit à Sandra. Les yeux de la jeune fille brillent de gratitude.
Livrée à elle même, Sandra déambule parmi les invités, danse sans conviction avec quelques jeunes hommes bavards.
- --J'ai l'impression que tu ne t'amuses pas beaucoup, Tsarina !
Gregory vient de s'accouder au bastingage, à côté de Sandra. Le regard perdu vers le large, elle tente de mentir !
- --Mais si, Gregory. J'ai trop bu, simplement. Il faut que j'empêche ma tête de tourner.
Son oncle lui passe un bras autour des épaules. Elle ne veut pas faire de peine à cet homme qu'elle adore. Pourtant elle se rend compte que ce qu'elle cherche n'est pas ici.
- --Inutile de m'épargner, Sandra, dit Gregory. Ces gens ne sont pas mes amis intimes. Tu sais...
De brusques éclats de rire provenant de la cabine L'interrompent. Quatre jeunes gens échevelés tentent de grimper les marches qui mènent au pont. D'eux d'entre eux portent sur leurs épaule une blonde à la beauté glacée, qui leur distribue des baisers d'encouragement.
- --En voilà, en tout cas, qui n'ont pas l'air de s'ennuyer, murmure Gregory à l'oreille de sa nièce.
Mais Sandra s'est figée. Elle pense que son coeur vient de rater plusieurs battements. Elle a reconnu l'un des porteurs, qui dépose à présent sa charge à terre et s'incline devant elle en un baisse main ridiculement solennel. L'homme et la femme s'éloigne vers l'orchestre, à l'arrière du yacht. Que fait-il ici ? Est-ce un ami de son oncle ? Et cette femme...Qui est-elle ? Des larmes de rage monte aux yeux de Sandra.
Gregory la regarde sans comprendre. Il veut parler, mais elle le devance.
- --Tu connais ce garçon ?
- --Non. Il a dû venir avec un de mes invités. Mais...
La question meurt sur les lèvres d'Aladin. Sandra essuie ses larmes. Il la sent tendue, nerveuse. Il se tait.
De la cabine, Sandra voit émerger le reste de la troupe. Fermant la marche, Marc Renan vide d'un trait le verre qu'il tient à la main. Ainsi ils sont là tous les deux !
- --Gregory, réponds-moi. Crois-tu qu'il soit possible d'aimer deux personnes à la fois ?
Le visage de Sandra est empreint d'une telle intensité qu'Aladin renonce à la plaisanterie qu'il s'apprêtait à livrer en guise de réponse. Il pressent un enjeu sérieux derrière cette question naïve. Sandra il le sait, a toujours été sincère avec lui. Il est un peu son confident. C'est peut-être pour cela qu'Adrien ne l'a jamais aimé. Pour cela et parce que chez les de Moncet on est dans l'armée, dans le clergé, ou dans la Carrière. Dans la médecine, à l'extrème rigueur : ultime concession de l'aristocratie au modernisme. Mais pas dans les affaires ! Son ex-beau-frère l'a toujours tenu pour un marginal, un mouton noir.
L'orchestre entame un slow langoureux, mais Aladin ne l'entend pas. Il plonge son regard sombre dans celui de sa nièce, fait ses adieux à la petite fille tendre et sauvage, drôle et butée qu'elle a cessé d'être. Il se doit d'être sincère avec cette nouvelle Sandra.
- --Oui, Tsarina. On peut aimer deux personnes à la fois.
- --Merci, Gregory.
Soudain, Marc est devant elle.
- --Sandra ! Toi, ici ! C'est trop beau ! ( Il lui prend les mains, effleure sa joue d'un doigt tremblant.) Comment...
- --Ce bateau appartient à mon oncle, dit Sandra, ironique. Puis-je te présenter Gregory Aladin ?
Marc Renan se redresse brusquement, tente de rajuster son noeud de cravate, de remettre de l'ordre dans sa coiffure. Aladin a un rire indulgent.
- --Repos jeune homme. Vous êtes ici pour vous amuser. Et puisque vous avez l'air de bien vous connaître, tous les deux, je vous confie ma nièce !
Il tourne les talons, laissant les deux jeunes gens face à face.
- --Sandra c'est décidé, je t'enlève, dit Marc. Ne proteste pas ! Je sais que tu est d'accord !
- --Que faites-vous, James et toi, dans cette réception ?
Elle le dévisage, les traits encore durs, mais la bouche indécise. La proposition de Marc la surprend autant que sa présence. Le monde est-il donc si petit que, quel que soit l'endroit où elle se trouve, ils doivent surgir devant elle, ravivant ses rêves et ses désirs les plus intimes ? Elle a l'impression d'être la victime innocente d'un obscur complot, en même temps qu'une joie sourde, profonde, monte de son ventre, de sa poitrine.
- --James a réussi à nous faire inviter par son amie Annabelle. Elle vit ici. Nous somme arrivés ce soir.
Il veut l'attirer contre lui, mais elle résiste. Trop de point reste obscurs.
- --Cette amie, commence-t-elle, c'est la blonde que j'ai vue au bras de James ?
- --C'est elle. Une fille extraordinaire.
Il glisse son bras autour de sa taille. elle le laisse faire. Elle savoure son bonheur. Au diable, les questions
- --Viens, insiste-t-elle. Quittons ce yacht. Je trouve que les gens y sont trop guindés.
- --Et James ?
- --Nous allons le chercher !
Ils le trouve à l'avant du navire, près du bar dressé sur une longue table autour de laquelle s'affairent des serveurs en blanc. Il est seul.
- --Bonjour James, dit Sandra.
Un bruit de verre brisé lui répond. James baisse les yeux vers la flaque qui s'élargit à ses pieds, les relève sur Sandra, dont les cheveux d'or rouge étincellent dans la nuit.
Elle fait deux pas vers lui. Il dépose un baiser sur sa joue parfumée.
- --Partons, dit-il simplement.
A l'avant du Rosebud, une silhouette blanche, appuyée contre la rambarde, regarde s'éloigner la vedette en souriant.
Ils roulent depuis deux heures, sillonnant la côte, s'arrêtant à chaque bistrot encore éclairer, pour s'embrasser entre deux gorgées de champagne. Assise à l'avant de la petite triumph, entre les deux hommes, Sandra a enfin l'impression d'être arrivée au bout d'un long voyage. Hier ne compte plus. Trop heureuse pour s'interroger sur tant de coïncidences, elle remercie en silence ce Gregory Aladin, son magicien.
A Antibes, une vieille femme vend des roses sur le port. Elle donne une fleur à Sandra.
- --Allez, on voit bien que vous avez du bonheur, ma petite demoiselle, dit-elle d'une voix éraillée. Deux beaux messieurs pour vous toute seule ! Garder les bien, avant qu'ils ne s'envolent !
Sandra pique la rose dans ses cheveux. Et la triumph repart. Ils parlent peu, heureux simplement d'être ensemble. Et c'est d'un commun accord qu'ils décident de s'arrêter sur une plage déserte. Sandra s'allonge sur le sable, entre les deux hommes. Son corps s'emble absorber leur énergie. Elle doit faire un effort pour penser qu'elle veut se souvenir de ce moment, le graver à jamais dans les sillons de sa mémoire. James joue avec ses boucles rousses. Marc lui tient la main. C'est comme si ces deux mâles, pourtant rompus, à trente ans, à tous les jeux de l'amour, attendaient un signal de sa part.
- --Si on allaient se baigner ? dit Sandra.
Lentement elle se lève : dévoile pour eux son corps, leur offre sa nudité. Pendant un instant, les deux hommes oublient qu'ils sont rivaux, qu'ils veulent tous les deux être le premier à la posséder. Puis Sandra s'élance vers l'eau sombre. Marc et James se déshabillent.
- --Alors ? crie Sandra. Le dernier à l'eau ne m'aura jamais.
Ils courent vers elle, l'éclaboussent. Les trois corps nus se frôlent. Une dernière peur enfantine pousse Sandra à retarder le moment où ces deux hommes vont faire d'elle une femme. Ils jouent dans la vague, caressent du bout des doigts sa chair brûlante de désir. Bouche contre bouche, lèvres contre chair, le ressac les ramène tous trois enlacés. Ils viennent s'échouer sur le sable. Sandra s'assied au bord de l'eau. James et Marc sont agenouillés devant elle. En un geste lent, elle passe ses bras autour de leur nuque, attire leur tête contre la sienne et murmure dans la tièdeur de leur cou :
- --Je vous aime...
James s'empare de sa bouche. Marc caresse ses seins. Deux corps d'hommes confondus qui la roulent sur la rive, s'abreuvent de sa peau. Comme dans un délire, elle répète sans fin :
- --Aimez-moi...Aimez moi...
Une bouche court sur son ventre, approche sa toison flamboyante. Elle frisonne et ses cuisses s'écartent. De sa langue, James s'ouvre un passage vers le sexe de Sandra, léchant la conque salée, plongeant dans la chaleur moite de sa chair vibrante.
Gorgée de désir, Sandra balance sa tête de gauche à droite, murmure :
- --Prenez-moi...Je vous veux tous les deux...Tous les deux...
Un même cri rauque s'échappe de la gorge des deux hommes. Leur verge déjà dure se fait douloureuse. Ils ont envie de cette fille comme jamais ils n'ont voulu une femme.
Marc presse son érection contre les lèvres gonflées de Sandra qui s'entrouvent. Elle embrasse la verge tendue, l'effleure de sa langue, l'engloutit. Marc ferme les yeux et s'abandonne à la caresse, tandis que Sandra ondule sous la bouche de James. Sexe qui vibre, elle gémit doucement et pousse un premier cri de délivrance.
Les deux hommes, mus par une harmonie instinctive, entourent Sandra.
- --Maintenant, je vais te prendre, souffle James.
- --Moi aussi, dit Marc.
- --Ne crains rien. Je ne te ferais pas de mal.
- --Ouvre toi. Je serai doux.
- --Regarde nos deux sexe durs. Ils sont à toi.
- --Je vais entrer. Doucement.
- --Oui, venez ! hurle Sandra.
Les mains de James se perdent dans sa toison humide. Celles de Marc écartent les deux fesses sphères blanches, glissent dans le sillon des fesses. Avec lenteur, les deux verges la pénètrent. Elle résiste à la stupeur, à la douleur, fascinée par la découverte de son propre corps que provoquent les deux membres qui, lentement, l'emplissent. Elle ouvre les yeux, elle veut voir. Ses cheveux roux lissent le sable. A t-elle peur ? a t-elle mal ? Elle sent vibrer ses verges enfoncées au plus profond d'elle-même, elle les sent bouger, vivre. Alors sa tête retombe en arrière, et elle pleure de bonheur. Elle crie longtemps, sans retenue. Ses sanglots se confondent avec les spasmes des deux hommes qui perdent tout contrôle. Ils se déchaînent sur le corps écartelé de Sandra.
Soudain Sandra se cabre sous l'assaut.
- --Je suis une femme ! Je jouis !
Marc et James s'abandonnent au coeur de Sandra, sperme et sang mêlés.
De longues minutes s'écoulent avant qu'ils ne bougent. Ils vont à nouveau chercher la fraîcheur dans la mer.
- --Je veux dormir avec vous, dit Sandra.
- --Et Adèle ? demande James.
- --Adèle n'existe pas. Emmenez-moi !
La villa d'Annabelle est fraîche. James et Marc savent qu'elle ne rentrera pas ce soir. Dans le grand lit de la chambre d'amis, ils continuent d'explorer le corps de Sandra jusqu'au matin. Repue, elle s'endort serrée entre ses deux amants.
Le soleil darde un rayon brûlant sur son ventre, Elle se réveille, dans une pièce tailler à même le roc. Contre ses fesses, Sandra sent une verge dure. Et toutes les images de la nuit déferlent dans sa tête. Elle creuse les reins et se frotte contre Marc.
- --Je te regardais dormir. Tu est belle.
- --Mmm...Bonjour, Marc. Où est James ? Il est déjà en train de préparer le petit déjeuner ?
- --Il n'est plus là.
Le visage de Marc lui paraît soudain fermé.
- --Comment, plus là ? Où est-il ?
- --Un coup de téléphone. Il a dû repartir brusquement pour Paris. Il m'a chargé de te prévenir.
Sandra ne dit rien. Et, quand Marc l'embrasse, elle entrouvre ses lèvres pour lui, répond à ses caresses.
Une larme, une seule, coule sur sa joue.