Roman

Madame L'ambassadrice
(James) . (16)

Le Lear-Jet survole Clermont-Ferrand, mais ses passagers ne s'intéressent pas au paysage. Dans le petit salon gris, le steward dépose les deux manhattans sur la table ronde : puis se dirige vers l'avant. Sandra attend qu'il ait refermé la porte coulissante derrière lui. Elle se penche et prend un des cocktails.

James lève son verre.
--A la victoire ?
Son sourire découvre ses dents blanches.

Elle trempe ses lèvres dans le liquide brun. Son regard reste vague.

--Peut-être...
Elle se laisse aller contre le dossier du fauteuil et ferme les yeux.
--Tout s'est passé trop vite. J'ai l'impression d'avoir égaré une journée de ma vie.

--J'aurais voulu t'éviter cette avalanche, dit-il, mais c'était impossible.

Elle rouvre les yeux et le dévisage, cherchant à retrouver une image du passé. Il a pris le temps de raser sa barbe et sa moustache. D'Anderson, il ne reste plus que les cheveux teint en blond. Mis à part la cicatrice. Liewelyn ressemble à présent à son souvenir. Elle l'avait crue fausse tout d'abord. Maintenat, elle ne peut en détacher son regard, comme si cette marque pâle témoignait à elle seule de leur séparation.

--Cette cicatrice, commence-t-elle. Je ne sais même pas d'où elle vient.

Il pose son verre, se penche et croise les mains sur ses genoux.

--Du Vietnam.

Elle se tait, attendant qu'il comble de lui-même les années qui les séparent.
--On m'y a envoyé en mission. Je pouvais refuser. Mais j'ai accepté.
Il s'arrête, regarde par le hublot l'aile blanche qu'un rayon de soleil fait miroiter.

--Pourquoi ?
--Je voulais oublier. J'ai cru que la guerre serait un remède. Mais, tu vois, je me suis trompé.
Il se tait.
--Et après ?
--Après ? (Il se redresse.) J'ai continué à vivre, à travailler pour le gouvernement, officiellement et officieusement. J'ai renoncé à oublier. Je n'ai plus pensé qu'à toi. Et à Marc.

Un silence gêné s'installe entre eux.

Sandra vide d'un trait la moitié de son verre.

--Comment as-tu découvert la vérité sur Marc ?

Il paraît soulagé de changer de sujet.
--J'avais gardé le contact avec Gregory et May. Par eux, j'ai toujours su où tu en étais et j'ai pu suivre d'assez près les activités de ton mari. J'attendais.

Elle baisse les yeux.

--J'ai essayé de te retrouver...
--Je sais. Je sais aussi ce qu'il t'en a couté. Je soupçonnais déjà Marc à ce moment-là. Je me doutais qu'il commetrait un jour une erreur. Ils le font tous. Marc avait la chance inouïe de bénéficier de la confiance de son gouvernement. Il a fallu une série de fuite à l'O.T.A.N. pour que nous puissions intervenir.
--L'O.T.A.N. ? Quest-ce que l'O.T.A.N. vient faire là-dedans ?

Il sourit, explique patiemment !
--Les pays du Pacte atlantique ont en commun certains secrets qu'ils n'aiment pas voir traîner partout. Tant que ce sont des alliés objectifs comme la France qui cherchent à se tenir au courant, il n'y a que demi-mal. Nous savions exactement ce qui se passait à la Licorne. Nous laissions faire. Puis on s'est aperçu que des informations transitant par Paris se retrouvaient à Berlin-Est, à Varsovie ou à Moscou et mon service est entré dans la danse.
--Tu aurais pu me soupçonner aussi.

Il secoue la tête.

--Depuis le début, tu t'es trouvée mêlée à des choses qui te dépassaient. Marc s'est servi de toi d'une manière écoeurante.
--Sans doute...
--Sandra

Elle sait ce qu'il va dire, mais elle n'est pas prête à l'entendre. D'un regard, elle le lui fait comprendre.

--Que vas-tu faire de Marc ? demande-t-elle, soudain au bord des larmes. Et moi ? Pourquoi suis-je ici ?

Il a un rire feutré qui apaise Sandra.
--Hé ! là, doucement ! Pas toutes les questions à la fois.
--J'ai vraiment besoin d'y voir clair, James.
--Je ne voulais pas donner un caractère officiel à cette mission. C'est pour ça que j'ai demandé à Gregory de m'aider.
--Tu ne vas pas livrer Marc ?
--Il a été plus qu'un ami, tu sais. Presque un frère. Mon service n'a pas besoin d'un coupable. Surtout s'il s'agit d'un diplomate français, travaillant également pour les services secrets de son pays. Il nous suffit de savoir que les fuites ne se produiront plus. Et puis j'ai Mallowan et le contact, s'il faut vraiment amuser la galerie.
--Alors, à quoi rime ce voyage ?
--Tu oublies qu'un pacte me lie à Marc. Ce qui a été fait doit être défait.

La porte du salon s'ouvre brusquement.

--On parle de moi, à ce que je vois ?

Le sourire de Marc brûle d'ironie. Il les regarde longuement puis fait un pas en arrière et tire la porte.
--J'étais venu vous dire que nous allions atterir. Oui, c'est ce que je voulais vous dire, murmure-t-il avant de refermer le panneau coulissant.



Le Lear-jet atterit sur un terrain privé non loin de Juan-les-Pins. Quatre passagers en descendent, qui s'engouffrent aussitôt dans une limousine noire. La voiture suit la route de la côte, dépasse Juan et s'arrête devant une villa, que Sandra reconnaît immédiatement. C'est celle d'Annabelle, la fille du yacht. James surprend son regard et croit utile de préciser :

--Annabelle est une amie de Gregory.

La villa est vide. Le salon aux murs de pierre blanchis, qui paraissait si frais cet été-là, a aujourd'hui la froideur de l'oubli.
Mais Sandra n'a rien oublié. Elle comprend qu'il va se passer quelque chose d'important. Ils sont là tous les quatre, trois juges et un accusé. Pour se rassurer, elle cherche le regard de Gregory. Il lui fait un clin d'oeil, s'approche d'elle et la prend par les épaules.

--Gregory, j'aurais tellement voulu que tout se passe autrement, dit-elle en se blottissant contre le torse puissant.
--Là, Tsarina, tu ne vas pas flancher maintenant ? Hein ?
Il se dégage doucement puis ajoute :
--Je vous laisse. Je serais à côté. Il faut que je prévienne ton père que tout s'est bien passé.

--Adrien est au courant depuis le début, n'est-ce pas ?

--Non, pas depuis le début, intervient James. J'ai sollicité son aide et ses conseils il y a quelques mois seulement, quand j'ai repéré avec certitude l'origine des fuites.

--Si on en finissait ? Vous aurez tout le temps de vous expliquez ensuite, crache soudain Marc.
Accoudé à la grande cheminée du salon, il lisse sa cuisse d'un geste nerveux.

Les trois tête se tournent vers lui.

--Pourquoi m'avez-vous conduit ici ? Qu'attendez-vous de moi ?

Gregory presse la main de Sandra et disparaît dans une autre pièce.
James tire un siège pour la jeune femme. Il reste debout.
--Je vais te proposer un marché, Marc.
--Tiens, tiens...
--Tu es fichu et tu le sais. Au nom de notre amitié passée, je préférerais ne pas te livrer.

Marc se tourne brusquement vers lui.

--Dis plutôt que c'est par égard pour Sandra !
--C'est vrai. Je n'ai pas oublié qu'elle porte ton nom.
--Mon pauvre James ! Tu es en plein rêve. Tu ne sais pas ce qu'est Sandra, ce qu'elle est devenue. La Licorne...
--La Licorne appartient au passé !
Sandra s'est dressée. Elle regarde Marc avec un air de défi. Il soutient ce regard quelques secondes puis détourne la tête.
--Ce que tu en as fait, murmure James d'une voix dure.

Marc a un geste agacé.
--Quel est ce marché ?

James prend une profonde inspiration.

--Je te laisse ta liberté...à condition que tu ne revoie plus jamais Sandra et que tu quittes définitivement le pays.

Sandra sent tout son être se tendre. James est impassible. Elle comprend qu'il tente de racheter six années de honte.

Marc ne dit rien. Il se tourne vers la cheminée, appuie ses deux mains sur le manteau de pierre froide. Sa tête s'incline sur ses doigts. Il reste ainsi quelques secondes.

--De toute façon, tu as gagné. Tu as obtenu ce que tu voulais. Ce que je voulais...(Il se redresse, leur fait face.) De toute façon, je voulais partir, n'est-ce pas ? Alors...

--C'est ta décision, Marc ?
--Il serait peut-être plus sage de choisir la prison, mais j'accepte ton marché...
--Tu partiras demain, Gregory te conduira où tu voudras.
--A une condition..
--Tu te crois vraiment en mesure de poser des conditions ?
Le ton de James s'est durci.

Marc va vers Sandra. Dans son regard elle retrouve cette humilité, cette dépendance totale qui la fascine et l'écoeure. Cette fois encore, elle ne peut décider s'il s'agit d'un jeu ou si c'est là le véritable visage de Marc.

--Une faveur, plutôt, reprend-il. Et c'est à toi que je la demanderai.

Mal à l'aise, elle s'agite sur son siège.

--Avant de partir, Sandra, je voudrais faire une dernière fois l'amour avec toi


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