Roman

call-Girl
* Le soleil de Carlo * (9)

Après Alex, j'en eus très vite assez de ma vie. Partir, j'avais besoin de partir.
Je m'en ouvris à l'un de mes amis. Ce fut rapide. Deux jours plus tard, le vice-président d'une importante agence de voyages me convoqua.
Il m'offrit un poste d'hôtesse pour sa compagnie, en Floride. Je devais m'y rendre dès la semaine suivante. Jacceptai d'emblé, sans perdre une minute à réfléchir.

Le samedi suivant, je sirotais mon pernod bien glacé, assise confortablement dans mon fauteuil, le regard perdu sur les nuages duveteux où nageait l'avion.
Enfin, je respirais !

À côté de moi, une jolie brune, svelte, hôtesse de l'air en vacances, me racontait des anecdotes d'une voix chantante. Nous avions tout de suite sympathisé. Comme un appartement m'était réservé en Floride, je l'invitai à demeurer chez moi le temps de ses vacances, ce qu'elle accepta avec bonheur. Elle se promettait des aventures en nombre impressionnant. De mon côté, j'avais les mêmes projets. Aussi, l'idée de mettre en commun nos recherches nous plut-elle tout à fait.

Une fois déposés les bagages, nous étions prêtes à amorcer la reconnaissance des lieux. Une promenade nonchalante nous amena dans le bar d'un motel.

C'était plein de beau monde. Au comptoir se trouvait un homme superbe, cheveu noir et teint basané, qui laissait paresseusement traîner son regard sur les tables. Stéphanie et moi l'avions tout de suite remarqué. Et nous nous taquinions à savoir laquelle de nous deux obtiendrait ses faveurs.

J'étais bien certaine que Stéphanie avait plus de chances que moi; sa beauté et son type racé accrochaient et par ses vêtements, ses attitudes, sa façon de bouger, elle savait se mettre en valeur.

Lorsqu'arriva le moment de payer nos consommations, le garçon nous apprit que c'était déjà fait, que nos drinks nous étaient offerts par le patron.

Le patron, c'était ce beau jeune homme accoudé au comptoir. D'un signe de tête, nous le remerciâmes. C'était un signal, il le comprit, et se dirigea vers notre table.

Aussi riche que beau, qu'il était. En plus de ce motel chic,il possédait d'autre propriétés, dans la ville très élégante de West Palm Beach, une des rares villes américaines à cachet quelque peu européen, avec ses terrasses au niveaux des trottoirs, ses restaurants français, ses boutiques de luxe et, sillonnant ses artères, ses innombrables limousines conduites par des chauffeurs à l'usage de madama et ses chiens.

Mon bel homme au teint sombre se prénommait Carlo. Sicilien d'origine, il vivait bdans une maison cossue sur le bord de la mer, une maison d'un étrange style mi-espagnol mi-italien, avec jardin et piscine.
Je n'appris pas toutes ces choses-là le premier soir. Mais trois jours après mon arrivée en Floride, je déménageais mes pénates chez lui.

Le lendemain de notre rencontre, je recevais à mon appartement une superbe gerbe de fleurs. Aucune carte ne l'accompagnait. Mais j'aurais été naïve de ne pas comprendre qu'il s'agissait là d'une entrée en matière de la part du beau Carlos.
Je devinai que je recevrais bientôt de ses nouvelles.
Après un petit déjeuner léger, j'allais me dorer sur la plage et m'ennivrer d'air salin.
J'avais 2 jours devant moi avant de me présenter aux bureaux de l'agence qui m'employait.
Quand je revins à ma chambre, je trouvai un message du grand brun, qui m'invitait à déjeuner. Il ne me restait qu'une petite heure pour me préparer. Je me hâtai donc de me faire une beauté, bien décidée à impressionner mon galant.

Son regard brillait. Il me fascinait et me faisait peur aussi.
Ses yeux fixaient ma robe blanche, qui libérait gracieusement mes épaules déjà hâlées.
Il m'offrit une orchidée noire et me donna goulûment un long baiser. J'étais déjà conquise.
Je refermai derrière moi la porte de mon appartement.

Il me fit monter dans une Lamborghini noire et me conduisit chez lui.
Dans le jardin en fleurs, donnant sur la piscine et plus loin sur la mer, une table dressée nous attendait. Les mets délicats, le soleil, le vin que je buvais à satiété, l'atmosphère de luxe et de farniente, tout m'enivrait.

Le repas terminer, je me levai, m'approchai de lui et lui offris mon dos largement découvert. Il comprit le message, fit glisser lentement la fermeture éclair. Je laissai couler ma robe et restai-là, presque nue avec juste un petit slip. Gravement il me contemplait. Je me mis à marcher lentement dans le soleil.
Mais il ne fit aucun mouvement, ne dit pas un mot.
Pour ne pas perdre contenance devant une si étrange conduite, je m'élançai vers la piscine et plongeai dans l'eau fraîche.
Ma fièvre se calma un peu. J'aurais tant voulu qu'il me prenne dans ses bras, qu'il me caresse et me fasse l'amour !
Quand je sortis de la piscine. il me tendit une serviette qu'il enroula autour de moi, et m'annonça sans plus qu'il devait sortir.
Il me retrouverait le soir même. Je n'avais qu'à l'attendre, à profiter de ses jardins et de sa maison.
J'étais vraiment décontenancée.

Une bonne m'installa dans une chambre immense. Les murs étaient recouverts de miroirs, les plafonds de fresques romaines et le parquet de dalles de marbre vénitien. Un décor étrange, amplifié par le masque de lourdes tentures noires et blanches pendues de chaque côté d'une colossale porte-fenêtre donnant sur un balcon. Et le balcon semblait se perdre dans l'immensité verte de la mer toute proche.
Au milieu de tout cela, un lit grand à se perdre, drapé de satin coquille d'oeuf. Éparpillé dans la pièce, une multitude de coussins à forme phallique et des seins pelucheux. Dans un coin, une baignoire à deux places toute de céramique peinte de scènes d'alcôve.
Chambre insolite, tape-à-l'oeil, destinée à n'en pas douter à des amours aussi étranges qu'elle.
En l'attendant, je me fis un devoir d'inspecter la maison, de me baigner dans le soleil et de me laisser servir par des domestiques très stylés.

Il revint tard en soirée, au moment où je commençais de perdre patience.
Sans un mot de sa journée, sans explication aucune, il me proposa un tête-à-tête mytérieux, ponctué de surprises amoureuses.
Craintive autant que curieuse, j'acquiesçai tout de même, j'étais prête à toutes les fantaisies.

Il exigea que je revête un caftan de coton naturel, un tissu rugueux coupé grossièrement, que je peigne les ongles de mes orteils en noir et que je laisse flotter mes cheveux roux sur mes épaules.
Nous, nous étions préparés chacun de notre côté.

Lui il portait un kimono de soie noire lui descendant jusqu'aux chevilles, ses cheveux enduit de brillantine.
Il tenait dans les mains, des bouteilles de vin. Il en ouvrit une, m'attira vers lui, passa son bras autour de ma taille, me renversa la tête.
Doucement, il répandit le vin sur ma gorge, sur mon visage, sur tout mon corps. La robe trempée me collait à la peau.

Il laissa tomber son kimono, découvrant un corps brun et musclé, un sexe superbement dressé. Ses mains se posèrent sur moi me caressant langoureusement par dessus ma robe qu'il ne voulait pas enlever. J'approchai ma bouche de son sexe, mais il me repoussa tendrement; j'avançai les doigts pour le toucher; il se dégagea, prit une autre bouteille et me fit boire de nouveau une gorgée de vin, répandit le reste sur toute la surface de mon corps.

Il léchait mes orteils. Cette défroque humide qui me collait à la peau m'agaçait. Et je souffrais de ne pouvoir laisser courir mes mains sur la poitrine touffu de mon partenaire.
Je tentai de nouveau de me dérober à ses exigences. Alors il sortit de sous un oreiller des lanières de cuir mince qu'il enroula puis noua autour de mes poignets et de mes chevilles. Je n'opposai pas de résistance; j'étais confuse et brûlante de passion retenue. Il m'enveloppait de caresses. Je gémissais de désir et d'impuissance. Soudain, il s'arrêta, saisit un minuscule couteau sur une table et l'approcha de ma poitrine.
La peur me raidit tout le corps. Il souriait. Passant la pointe du couteau au travers du tissu de ma robe, il entreprit un découpage progressif autour de mes seins, puis de mon pubis. J'étais complètement à sa merci. Je sentais poindre mes mamelons et se contracter mon sexe. Tout en moi était attente, offrande, appel.

Le corps renversé sur ses genoux, livrée à ses désirs, j'attedais, les yeux fermés. Ce fut d'abord d'une douceur infinie. Le bout de ses doigts courait sur toute la surface de mes seins. Puis lentement, ses mains descendirent vers mon sexe, pétrissant tout le bas de mon corps. Ses caresses alternaient de la violence à la tendresse. Je n'en pouvais plus. Il libéra mes mains, je me jetai sur lui. L'orgasme surgit, déferlant longuement dans tout le réseau de mes veines.
Il me laissa jouir jusqu'à ce que j'ouvris les yeux. Alors seulement, il arracha ma robe, défit les liens de mes chevilles et s'offrit à ma convoitise.
Des heures, nous fîmes l'amour, accomplissant le rite sacré des amants qui s'unissent dans un torrent de sensations profondes, jamais éteintes, toujours ravivées.

*****

J'étais comblée. Tout ce que j'avais vécu avant s'estompait comme les images d'un film qu'on n'a vu qu'une fois. J'entreprenais une vie nouvelle, au bras d'un homme riche, beau, imaginatif, dans un paradis de mer et de soleil.

Je n'avais pas sitôt commencé mon travail à l'agence que je le négligeais déjà. Je m'y rendais quelques heures par jours, souvent complètement gelée; je travaillais peu et mal. Je me rendit vite compte que sous le couvert d'une respectable agence de voyage, s'effectuaient des transactions d'un tout autre ordre. En fait, l'agence faisait aussi du placement de prostituées. Je participai donc bientôt aux activités: offrir aux gens des choix de voyages ou de filles, selon les cas.

De toute façon, en dehors de Carlo, rien ne m'intéressait plus.
On ne fut pas long à me foutre proprement à la porte, tout en m'offrant de me repatrier à Montréal.
Je déclinai l'offre avec dédain, trop heureuse d'être enfin libérée !

J'habitais avec Carlo la maison au bord de la mer, on m'y servait comme une reine. J'étais riche, aimée. Tous mes rêves de petite fille se réalisaient.

Nous sortions continuellement, dans les endroits les plus chic, nous dînions à l'hôtel, nous fréquentions les dancings les plus huppés de la côte de la floride.
Carlo m'avait acheté une voiture sport décapotable, pour faire mes courses. Quand j'avais envie de jouer à la grosse madame, je me faisais conduire en Mercédès par le chauffeur. Mais pour les grandes sorties, nous préférions la Lamborghini. J'achetais tous ce qui me tentaient et Carlo me couvrait de cadeaux.
Carlo avait une fortune inépuisable, des tas d'amis... et probablement tout autant d'ennemis.

Parce que Carlo vivait du commerce de la drogue, du commerce à grande échelle. C'était un chef de réseau. Le reste de ses affaires, les affaires respectables, lui servait de couverture.

Il vivait constamment sur ses gardes, accompagné partout de son fidèle gorille. Il sombrait parfois dans des inquiétudes très lucides et déclarait alors: "Le jour où je ne pourrai plus voir le soleil, où je serai enfermé et privé de ma liberté, je m'occirai. J'irai voir dans un autre monde où se cache le bonheur".

Il avait eu une vie très difficile. Son père, membre de la Mafia de New York, avait été retrouvé mort, le corps emprisonné dans un bloc de ciment. Resté seul et sans argent avec sa mère et ses soeurs, Carlo avait vécu de petits vols, de la vente de drogue et avait fait le gigolo. Petit à petit, il avait fait son chemin.
Jeune homme, il avait appris à profiter de son charme auprès des femmes. Surtout auprès des dames riches et fanées qui se pâmaient de désir pour la chair fraîche d'un jeune éphèbe.
Carlo possédait toutes les qualités nécessaires à son métier de gigolo. La nature l'avait favorisé de furieuses pulsions sexuelles.

En riant, il me racontait ses parties de débauche dans les bras flétris de douanières. Il avait l'érection si facile, que le désir chez lui n'était qu'accessoire.
De la prostitution, il était passé au commerce des stupéfiants. Pour apprivoiser ses dames d'abord, puis leurs amis, puis les amis de leurs amis. Puis il étendit ses activités dans toutes les sphères de la vie new-yorkaise. La drogue en général abreuve bien plus de gens qu'on ne le pense.

l devint riche... puis très riche.
Il connaissait dès le début la fin de l'histoire. Il savait que son règne serait brutalement interrompu. Mais il s'employait de toutes ses forces à retarder les échéances. Il voulait jouir avant de quitter la scène.

Il partait souvent et longtemps pour ses affaires et me laissait aux soins des domestiques. Il n'avait pas confiance en moi. Il faut dire que j'usait largement des stupéfiants et il m'arivais de perdre le sens de la réalité des jours entiers. Je pouvais m'esquiver et réapparaître 3 ou 4 jours plus tard sans savoir ni où j'étais allée, ni ce que j'avais bien pu faire.
Carlo aussi usait de la drogue. Il se piquait régulièrement. À l'héroïne ou à toutes sortes de mélanges, qui bien sûr, lui créaient de l'accoutumance. Mais il ne risquait pas de manquer de vivres : il en achetais à la tonne

Nous nous étions marié quelques mois à peine après notre première folle nuit d'amour. Il tenait à m'épouser "par souci des traditions familiales, sans doute" et moi, je n'en retirais que des avantages : j'avais son corps à ma disposition, son argent et tout ce que cela comportait.
Je ne voulais pas croire aux dangers qu'il courait.

Un matin, il s'apprêtait à sortir avec sa voiture, une fois assis derrière le volant, il se ravisa et revin vers la maison. Il avait oublié son porte-documents.
Sa voiture explosa, il n'en resta plus rien. Seul le hasard lui avait épargné la vie.
Pour la police, cet événement eut valeur d'avertissement... Perquisitions, arrestations, interrogatoires. La Floride devenait trop "chaude" pour nous. Nous nous envolâmes vers la Californie.
Peine perdue. Un mois plus tard, il était arrêté sous inculpation d'importation et de trafic de drogue.
Le rêve se terminait. Carlo était en prison. Je me retrouvais seule.
J'allai, sur les conseils de Carlo, me réfugier dans une famille de sa connaissance, en pleine campagne, loin de tout, loin de lui. J'y vécus, recluse, presque trois mois. En réalité, je savais très peu de choses sur mon mari. Je connaissais tout de même des gens, quelques adresses que les policiers ainsi que la pègre aurai aimé apprendre.
Je vivais un enfer. Après trois ans de griserie, c'étais la mort vive.
J'avais connu avec Carlo la folle passion quotidienne. Ce n'étais peut-être pas de l'amour. Mais cet homme-là m'avait satisfaite, ce qui est rare. Nous parlions peu ensemble, mais nous communiquions de toutes les façons. Bien sûr il y avait la drogue. Sans elle, le temps m'aurait peut-être paru terne. Peut-être en aurais-je eu vite assez de limiter mon existence à manger, boire, dormir et faire l'amour. Oui peut-être que sans la drogue ces brèves années auraient été banales.
Mais elles ne le furent pas, et c'est ce qui importe, que je doive à l'amour, au sexe ou aux artifices.

Sur mes nuages, j'avais flotté trois ans, suspendue entre ciel et terre. Le plus beau temps de ma vie. Maintenant le ciel s'étais déchirer et je me retrouvais toute seule. Où donc étaient ma maison blanche, le jardin frais, la mer divine ?
Et Carlo derrière les grilles...sans sa lumière, sans nos amours, sans ses indispensables piqûres de rêve, pour quatorze interminables années enfermé, dépossédé, déchiqueté.

Il avait obtenu de sortir sous cautionnement, pour quelques jours. La veille de rentrer en prison, il me téléphona. Nous avons échanger que quelques mots :"If you can't enjoy your life, at least enjoy your death". J'approuvais trop son geste pour tenter seulement de le retenir à une vie qui n'existait déjà plus.
Il s'était suicidé d'une balle dans la tête depuis dix heures seulement quand je pris l'avion pour Montréal.

Carlo était mort, le soleil était mort. Il avait déjà tellement souffert de la colère de son corps contre un sevrage brutal, des orages de son esprit torturé. Il avait accepté bien des années auparavant les risques de sa folle vie. Il avait toujours su qu'il mourrait de cette façon. La mort violente faisait partie de son héritage. Maintenant, il devait sourire, il avait dû atteindre l'ailleurs, l'envers du décor, l'autre côté du miroir.
Je n'eus pas de regret. Que des images. Qu'un goût de sel au fond de la gorge.


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