Roman
call-Girl
* Et la vie reprend * (10)
Ainsi me revoilà à Montréal. Chancelante, la bouche sèche, l'estomac noué. Comment recommencer à vivre après un tel feu d'artifice ? Comment reprendre un baluchon poussiéreux, misérable et fade ?
Comment me promener de nouveau au hasard des rues, sourire à ces visages sans âmes qui avaient été des visages familiers, après trois années sur une autre planète ?
*****
Pourquoi, certain après-midi, ai-je soudain envie de m'asseoir à une terrasse, de prendre un verre, de regarder la foule comme un tableau mobile ?
Pourquoi, certain jour, ai-je l'idée saugrenue de téléphoner à quelqu'un ?
C'est pourtant ce qui m'arrive.
Il faut croire que la vie est plus forte que tout. Plus forte que la magie des rêves. Je mange, je dors, je songe à prendre un travail, à revoir les copains.
Mon cerveau se réadapte. Je reprends Montréal là où je l'avais laissée.
Comme pour permettre à mon corps de retrouver ses forces, je vis une période totalement asexuée.
Je ne ressens ni chaleur ni désir ni frisson. Je peux demeurer ainsi, au neutre, plusieurs mois. Je remerci mon corps de me laisser ce répit. J'en est besoin pour reprendre pied.
Je fais de nombreux retours sur mon passé, moi qui n'ai jamais regardé en arrière.
J'ai envie de me raconter. Pour prendre possession de mon passé, sans doute.
Mais aussi pour choquer, déranger les gens dans leur assurance petite et terne d'une vie bien tracée, rectiligne. Leur faire voir le revers de la médaille.
Jusqu'ici, j'ai presque tout essayé. L'amour n'a plus de secret pour moi. J'en suis fière. Je n'est pas trente ans et j'ai tout connu des passions.
Il me manque une seule expérience: la prostitution. Mais je sais que cela viendra à son heure.
Et si j'écrivais tout cela ? Xaviera Hollander l'a bien fait, elle !
Je pourrais écrire de petits contes sexuels comme Emmanuelle, ou composer un journal pornographique, du genre de ceux que les gens honnêtes achètent en cachette et les yeux baissés dans les boutiques où ils se glissent furtivement.
Qu'ils lisent fébrilement, la bouche décrochée, le front moite !
Je le savais. Les copains à qui je confie ce projet se moquent de moi, déclarent péremptoirement que je ne suis pas normale. Ils me fixent, incrédules, pardonnent ce qu'ils appellent mon "exhibitionnite aiguë".
Ils ne l'avoueraient jamais, mais je saisis dans leurs yeux, tout de même, malgré leur masque, cet éclair de curiosité malsaine sur lequel ils battent des paupières chastes.
C'est vrai que j'ai l'air un peu détraquée, dans ce restaurant tranquille, toute seule à ma table, écrivant dans un petit calepin les images pornographiques qui me sautent à l'esprit.
J'éclate de rire au beau milieu des chuchotements de conversations sérieuses.
De dignes hommes d'affaires se retournent, alertés.
Jettent un paternel regard à la petite fille que je parais être et l'un d'eux lève les épaules d'un air entendu. Je devine le commentaire qu'il glisse à son vis-à-vis. Il se retourne encore, souriant vraiment cette fois,
mais je lui adresse le regard le plus froid possible que je fais suivre d'un grand sourire bête. Voilà. Il en sera sûr désormais, cette fille-là est folle, malade, droguée ou stupide.
Je me penche de nouveau sur mon calepin, pour détailler encore des images :
Sophie souleva sa robe. J'en fis autant.
La salle de bain étant étroite, nous ne pouvions bouger sans inévitablement nous frôler. Comme je me penche pour enfiler mon maillot, nos seins s'effleurent.
Une étincelle de sensation ! Nous rions bravement et une fois nos maillots enfilés. nous sortons au pas de course et plongeons dans la piscine, arrosant copieusement Patrick qui nous attendait.
Il nous rejoint, et pas aussi innocemment que nous pensions le faire voir, nous nous amusons dans l'eau tiède à nous glisser mutuellement entre les jambes.
Patrick essaie d'éviter sa soeur Sophie, mais celle-ci s'engage aussi hardiment que lui à me frôler...accidentellement.
Ce sont des jeux. Mais plus tard, quand je rejoint Patrick sur la serviette où il offre son corps brun au soleil, il ne tarde pas à entreprendre une lente exploration de mon corps moite.
Nous sommes seuls, les parents ne reviendront que tard le soir et, haletante, je me laisse palper, caresser les seins tant et si bien que les mamelons devenus durs et frottant contre le tissu de mon maillot,
ne demandent qu'à sortir, ce que mon jeune amoureux comprend rapidement.
Un peu boudeuse, Sophie nous regarde de loin et feint de ne pas s'occuper de nous. Je suis excitée par les mains un peu sauvages de
Patrick et par les regards que je sens de sa soeur. Je suis presque complètement nue et mon assaillant a peine à contenir le gonflement de son pénis qui cherche à sortir de son étroit slip.
Je suis maintenant bien appliquée à mon travail. J'ai oublié ceux qui me regardent, toute prise par la narration de l'une de mes premières expériences sexuelles.
Je l'embellis de mes phantasmes, mais je m'arrête soudainement : ces souvenirs m'émoustillent !
Je remplis ainsi en quelques jours des pages et des pages de texte.
Je suis troublée en écrivant toutes ces choses. Écrire me replace si bien dans les circonstances de mon passé, que j'en ressens les émotions avec autant d'intensité que si je les revivais telles.
Mes amis ont peut-être raison, après tout. Je ne suis peut-être pas aussi normale que je le prétends...
*****
Un soir de discothèque où je m'amuse assez, je tombe sur Philippe, plus beau que jamais. Il semble bien dans sa peau. À mots couverts, il me fait comprendre que le jeune homme qui l'accompagne est son ami,
son compagnon de vie.
Nous nous racontons brièvement les années qui se sont écoulées depuis notre séparation, plus de 9 ans auparavant. Et nous nous promettons de nous revoir bientôt.
Un mois plus tard, Phillippe et moi se sonnons rendez-vous pour un déjeuner entre copains. Il fait merveilleusement beau.
Je décide de lui confier mes projets d'écriture, je sors mon calepin et le lui tend. Il en feuillette les pages, s'attarde sur quelques passages, puis le referme. Il me fixe, esquisse un sourire qui se veut tendre :
---T'as des problèmes, ma fille ! Ils se lisent à chaque ligne. Une bonne petite séance hebdomadaire chez un psychiatre te ferait sûrement du bien.
T'as besoin de remettre tes sentiments à l'endroit, de te retrouver. Et c'est pas en écrivant des bêtises que tu vas y arriver !
Je suis terriblement déçue. Et tout mon visage le laisse voir.
---Si tu te mets en tête de devenir écrivain, surtout avec des sujets aussi...personnels, c'est sûrement que quelques chose ne tourne pas rond, ma biche. C'est en ami que je te parle...
Il continue à me dire sa pensée, mais je ne l'entends plus. Je me contente de changer la conversation. Je reprend mon petit calepin en m'extasiant sur la splendeur du jour, puis je m'éclipse en prétextant un rendez-vous.
Je marche depuis au moins 2 heures dans les rues bourdonnante du centre ville. Montréal est belle, grouillante, vivante. Et moi je suis plus seul que jamais.
Juste comme je croyais recommencer à vivre normalement après l'écoulement de mes beaux châteaux de Floride, voilà que je m'effrite lentement. J'ai heureusement encore de l'argent. Carlo m'en a laissé beaucoup.
Mais un de ces jours, je devrais bien me résoudre à prendre un boulot. J'ai besoin pour l'instant de m'isoler un peu.
Il n'y a pas d'homme ni de femme dans ma vie. J'écume encore les bars de l'ouest, les beaux soirs où je me sens frivole, mais je revien seule à l'appartement. Je ne suis pas malheureuse.
Je ne suis pas folle non plus. J'ai juste envie de me reposer.
Pourquoi cette soudaine rage d'écrire ? D'écrire des scènes de sexe, des souvenirs érotiques, d'inventer même des jeux nouveaux ? J'ai toujours aimé choquer, guetter sur les visages des réactions curieuses.
Il faut croire que je cherche quelques chose. L'admiration aussi bien que le mépris. Masochisme ? Narcissisme ? J'ai toujours aimé m'effeuiller, quitter des vêtement qui ne sont pas moi.
Mais sur mes sentiments, j'ai toujours jeté un voile de pudeur. Aurais-je soudain envie de m'exhiber l'âme ? De livrer mes états intérieurs? Cette pensée me fait rire.
Prenez-moi mesdames, prenez-moi messieurs, explorez mon corps sous toute ses facettes ! Mais ne tentez jamais de traverser la frontière : mes pays intérieurs sont bien défendus. Il y pousse des fleurs vénéneuses,
l'air y est empoisonné. Vous en mourriez !
Défendre mes frontières. L'idée me plaît assez. Je me sens suffisamment forte tout à coup pour engager un sanglant duel. Qui se présentera ? Qui d'autre qu'un psychiatre !
Le laisser s'avancer sur mon terrain jusqu'à ce qu'il soit sûr de la victoire, puis lui refermer le piège sur les doigts ! À nous deux, docteur !
Le soir est tombé sans que je m'en aperçoive. Je téléphone à Peter, mon fidèle copain. Je sais qu'il a déjà suivi une cure, qu'il a quelques psy dans son sercle d'amis. Il saura m'indiquer une adresse.
Je ne veux pas d'un psychiatre trop jeune, trop facile à égratigner. Je le veux bien ferme, bien musclé. J'ai envie d'une fière bataille !
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