Roman

call-Girl
* Mon Freud à moi * (11)

Peter ne m'a pas menti. Samuel Herman a de la prestance. Il est plus jeune que je l'avais imaginé à sa voix, mais quelques fils striant sa barbe trahissent un début de quarantaine. Il est grand. Des lunettes de métal encadrent ses yeux bleus perçants. Un costume bien coupé, la mise impeccable, les mains longues, les jointures souples.
Il me plaît.
Un geste bref, deux mots, il m'invite à m'asseoir. Je résume ma vie, raconte les difficultés que j'ai à reprendre pied. Il écoute en silence. Quand je me tais enfin, il m'explique tièdement qu'il faudra au moin trois séances avant qu'il ne décide de m'accepter comme patiente. Il doit juger de mon cas, jauger mon sérieux. Bref, nous devons nous connaître avant d'entreprendre côte à côte la difficile montée vers l'équilibre.

Dès la première entrevue, je conclus que j'ai trouvé la perle rare. Quelqu'un qui s'intéressera passionnément à ma petite personne. Qui traversera mer et mondes pour venir piller mes jardins secrets. Qui jouera à merveille le rôle de chevalier vaillant que je lui assigne dans mon scénario.
Deuxième rencontre. Décidément, il est bel homme.
Troisième rendez-vous : le diagnostic est posé. Je souffre d'un dédoublement de la personnalité. Rien que ça !
Je suis multiple, et mes moi ont certaine difficulté à se rencontrer aux mêmes heures. Nous ferons donc la thérapie. Ce sera peut-être long !

*****

Depuis 3 mois que je lui raconte dans les moindres détails mes aventures les plus intimes, j'estime que Samuel est prêt à subir une attaque. Ce soir, j'ai omis volontairement le soutien-gorge sous mon chemisier clair, et serré d'un cran ma ceinture. Le docteur se lève, m'invite le plus professionnellement du monde à m'asseoir sur le canapé qui fait face au foyer, à l'autre bout de son bureau. La première manche est gagnée. Cela suffit pour cette fois.

De séance en séance, les entretiens se prolongent. Puis l'heure des rendez-vous est fixer à plus tard, après le départ de la secrétaire. Le strip-tease moral va bon train. Tous mes personnages y passent : l'ingénue, la femme de tête, la garce, la sensuelle. Le docteur Samuel se laisse imperceptiblement gagner par les artifices du théatre. Sa soif de connaître s'exacerbe. Il veut des dates, des lieux, des descriptions... la victoire est assurée !

Un soir, il attaque à son tour. Le prétexte est gros pour un homme si intelligent (mais quand le sexe mène le bal, la tête danse, c'est bien connu !).
Il s'agit de concrétiser mes phantasmes nés d'expériences mal assimilées en revivant des scènes marquantes de ma vie.
Que dirais-tu, Cléo, de t'étendre nue sur le canapé et explorer ton corps toi-même, comme tu le fesais dans ta chambre, petite fille ? Comme tu le fais encore, plus savamment ?
Je joue d'abord l'hésitation, la gêne. Je pose des questions ; je mets des conditions. Je refuse et puis acquiesce. J'enlève mon chandail, retire mes chaussures. Puis je me mets à frissonner, me r'habille en vitesse et m'enfuis.
Je revien 3 semaines plus tard. Je souffre (réellement) d'un terrible mal de dents. La séance est décousue, je n'arrive pas à me concentrer. Samuel me congédie froidement en me donnant l'adresse d'un copain dentiste. Je sens très distinctement son agressivité rentrée.

J'obtiens rapidement un rendez-vous chez le dentiste. Soudain, j'ai une envie folle de le séduire. Me jouer de celui-ci en fesant rager celui-là ! À l'avance, j'entends ce jeune dentiste se plaindre à son ami Samuel de la conduite de la jeune cliente qu'il lui a envoyée.
En entrant dans le cabinet, je déboutonne le haut de ma robe et m'assied nonchalamment dans le fauteuil, jupe retroussée.
---Vous êtes très beau, vous l'a-t-on déjà dit ?
Les grands yeux s'écarquillent, le pauvre homme baisse la tête.
---Je suis très friande de jeunes hommes comme vous.
Les instruments cliquettent entre ses mains. Les joues s'empourprent.
---Vous n'aller pas me faire mal ? Je ne sais jamais comment je peux réagir sous la douleur. Vous savez, il m'est déjà arrivé de ne pouvoir me retenir et d'aggripper tout ce qui se trouve à ma porter...
Affolement. Il n'allait pas pouvoir me toucher, même avec la fraise, je le brûlerais, c'est certain !
La jeune assistante s'avance bravement et se met promptement à la tâche. Tandis qu'elle prépare je ne sais quoi, je lance, bien distinctement :
---Des clientes vous ont-elles déjà proposé des paiements en nature, docteur ? Je suis prête, quand à moi, à vous offrir un traitement tout à fait spécial en échange de vos services professionnels ! Vous avez le choix, je sais tout faire...
Quel regard ils s'échangèrent ces deux là ! Surprise, colère et peur ! Je déguerpis avant qu'ils n'aient ouvert la bouche, les laissant pantois et tout à fait éberlués !
Je fais soigner le jour même mon mal de dents dans une clinique publique.

Les reproches pleuvent. Je refuse des attouchements thérapeutiques d'un homme de toute confiance et je vais me donner au premier inconnu que je rencontre ?
Je laisse couler le torrent de paroles. Je contracte la mâchoire, durcis le regard, dresse les épaules. Je mors chacun des mots que je dis.
---J'en est assez d'être juger comme la dernière des traînées parce que je suis simplement une femme sensuelle. Je m'offusque de ce que mon docteur se serve de moi pour assouvir ses d'ésirs d'homme. Je ne suis pas disponible pour n'importe qui. Je choisis mes partenaires. Je refuse les excuses. Je ne reviendrais plus.

Deux jours après, je téléphone et sollicite un rendez-vous. Nous évitons de revenir sur notre dispute et la rencontre se passe tout en douceur. Samuel me propose un verre dans un bar proche. J'accepte.

Bientôt l'habitude est prise. Après chaque séance, nous sortons. Il a une conversation brillante, savoureuse. Le printemps pointe, nous marchons jusqu'à la rue Saint-Denis.
Je connais le désir de Samuel, ses yeux me le disent. Il me plaît. Mais je n'oublie pas que je suis de nous deux la victorieuse et je n'entend pas céder ma victoire. Je serais bien au creu de ses bras, je le sais et je sait qu'il le sais. Mais je ne déposerai pas les armes. Mon farouche orgueil est plus fort que mes sens.

À la mi-juin, Samuel met un terme à notre relation. La cure est terminée, il ponctue son discours de conseils très paternels. Bref, la leçon est complète, le ciel et l'enfer y passent.
Mais je suis résolue à lui faire avouer les vraies raisons de sa dfécision. Je me moque un peu de lui, de ses mises en garde. J'affirme être capable de me passer d'épaule protectrice. Et Samuel avoue. Qu'il m'aime, et que ses sentiments sont incompatibles avec son rôle de psychiatre. Il me désire depuis longtemps et ne peut plus supporter nos chastes rapports. Mais il m'offre son amitié.
Je suis touchée. Éternel combat de l'amour et du devoir, le dilemme comélien.
Samuel se rend, notre guerre est terminée. Mais la victoire est moin enivrante que je l'aurais cru. Je ne désire pas vraiment cet homme-là. Mieux vaut laisser tomber. L'histoire est terminée.
Nous convenons de ne plus nous revoir.
Mais le destin en décidera autrement.

Samuel me téléphone de temps en temps, quand il est en mal de confidences. Je suis gentille avec lui, mais je n'arrive pas à être tout à fait dégager, à le voir comme un ami. Il m'invite à des réceptions, au théatre. Mais je refuse toujours. Il insiste... il m'agace.
Si bien qu'un jour, je décide de lui donner une bonne leçon.
D'accord, je serai au rendez-vous. Il s'agit d'un dîner en tête-à-tête, au chic Château Champlain. Dès l'émotion des retrouvailles passée, le grand jeu commence. C'est le flirt d'abord, ensuite on passe à la cour proprement dite, les mots s'échappent tout désordonnés de sa bouche et j'en conclus qu'il veut coucher avec moi. Il en a mis du temps ! Comme c'est dommage que cet homme si brillant, si distingué ressemble tant à tous les autres. Tant pis.
Suivez-moi monsieur, allons d'abord à votre voiture. Vous verrez bien ensuite où ma fantaisie nous mènera.

Je le regarde marcher devant moi. Et tout à coup, je ne sais pas pourquoi, une vague de mépris me prend tout entière. Tu veut m'avoir ? Tu l'auras, le corps que tu convoites. Le corps, et puis c'est tout. Le reste m'appartient.
Nous, nous glissons dans la voiture, le stationnement souterrain est rempli, des autos arrivent et repartent dans l'odeur de l'essence. Quel décor parfait pour une sale coucherie !
Je ferme les bras autour du cou de Samuel, pose ma bouche sur sa bouche, du bout de ma langue, je caresse ses lèvres délicatement. Je presse ma poitrine contre la sienne. Ses mains enlacent ma taille, cherchent mes reins. À travers le tissu de ma robe, je sens la chaleur de ses paumes.
---Prends-moi. Ici, tout de suite.
Surpris, il sourit, mais il ne semble pas la prendre au sérieux. Il s'apprête à démarrer.
---Ici, tout de suite.
---Ça na pas de sens ! Ici ? dans l'auto ? N'importe qui pourrait nous découvrir. Je mourrais de honte ! Nous serons mieux dans une belle chambre confortable ! Un beau grand lit...
---Ici, tout de suite... ou jamais. Et je commence à défaire mes vêtements. Le mélange de peur et de désir le fascine. Je suis nu à la portée de sa passion, j'ouvre lentement les jambes. Il ne résiste pas.

Les désirs assouvis, il s'agit de nous r'habiller. Ce n'est pas commode, dans une voiture. Et comme l'attrait du plaisir s'est éteint, la crainte reprend le dessus. Il convient de faire vite, s'il fallait se faire surprendre... dans une position peu respectable ! Pour le faire un peu souffrir, j'ouvre la portière et sors de la voiture, en remettant avec lenteur mes vêtements.
Heureusement pour lui notre coït rapide, n'aura pas de témoin.
Maintenant que le danger est passer, le sourire lui revient. Il semble prendre l'aventure avec un grain de sel, se promettant d'obtenir plus tard, un peu plus de collaboration de ma part. Il se trompe lourdement. Je n'ai pas l'intention de recommencer avec lui.
Il n'aura eu qu'un amour à la sauvette. Il ne pourra jamais se vanter de m'avoir possédée. Ce serai plutôt le contraire. Je suis gagnante sur toute la ligne.

*****

Après Samuel, il y en eut d'autres.
J'avais envie d'expérience extraordinaires, de sensations fortes. Il devait bien avoir quelque part une aventure spéciale qui satisfasse ma sensualité repue. J'étais prête à tout.
J'avais mis fin à la rédaction de mes historiettes érotiques sans en avoir tiré grand profit et l'année de cure ne m'avait pas fait de mal.
C'était l'époque où je voyais beaucoup mon ami Peter, un des rares copains qui ne fut jamais mon amant, le seul qui m'ait vraiment connue.

C'était décembre. Noël approchait. Peter et moi convînmes de réveillonner ensemble en espérant finir la nuit dans la fête gourmande de quelque corps de rencontre.
Et c'est ainsi que je fis la connaissance de Christina, noire Vénus qui allait transformer mes talents naturels en compétence professionnelle !


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