Roman
call-Girl
* Julien * (7)
Je ne savais pas ou aller. Je revins donc chez mes parents. Je n'avais pas d'argent, pas de toit, plus de mari, et j'allais avoir un bébé dont je ne voulais pas.
Comme dans l'histoire de l'enfant prodigue, mes parents m'ouvrirent grands les bras. Ils étaient heureux, au fond, d'être débarrassés de ce gendre gênant que je leur avais imposé.
Et leurs espoirs reprenaient forme :
je redevenais leurs fille, je pouvais donc encore faire de ma vie quelque chose de bien.
Émus de ma grossesse, ils firent très tôt des projets : garder l'enfant, l'éduquer, le couvrir de cadeaux. Mais je ne tenais pas du tout à ce que mon enfant souffre du genre "d'élevage" que
j'avais subi, de cette éducation précieuse qu'on m'avait enfoncée dans la gorge et qui m'avais gâché toute mon enfance. Je ne voulais pas qu'il connaisse les affres de la solitude forcée,
le rejet, la singularité.
Jour après jour grandissait mon obsession : me défaire de cette chose qui germait dans mon ventre, de cette vie que je ne voulais pas assumer. Je n'avais
que vingt ans, j'avais enfin besoin d'une existence à moi toute seule.
Ma mère se convainquit rapidement que j'avais raison. Quand le moment fatidique arriva, mon père trouva un prétexte et sortit : il refusait d'être le complice d'un avortement si risqué.
Car j'étais enceinte de près de six mois maintenant.
C'étais une femme banale, sans sourire comme sans regard. Sa dextérité avait fait sa renommée dans le cercle de gens bien
que fréquentaient mes parents. J'ai encore mal quand j'y repense.
Je suis nue dans ma chambre, elle manipule de longues aiguilles. J'ai peur. Je tremble de tous mes membres.
Et soudain, une douleur aigue me pénètre, un éclair lancinant... la nuit.
Je me réveillai deux jours plus tard, dans une chambre d'hôpital, devant un gynécologue ahuri de me voir encore vivante, révolté de constater le carnage dont j'avais été victime.
On m'avait perforé l'utérus, provoquant ainsi une hémorragie qui aurait été mortelle si j'avais été admise a l'hôpital seulement quinze minutes plus tard. L'enfant était mort.
Le choc avait été terrible. Un ans de soins suivis, la stérilité, la dépression, le tunnel gris, les jours fades.
Ne plus jamais concevoir d'enfant...cela, je ne le regrettais pas. Je ne suis pas de celles qui font les mères. J'ai besoin de toute monénergie pour défendre ma liberté.
Ma liberté est ma passion, le but ultime de tous mes acharnements.
*****
Je repris finalement ma vie là où je l'avais laissée avant cette aventure stupide d'un mariage contracté sur un double coup de tête : me venger de mes parents et faire tomber un pédé.
Je renouai avec les copains, bien décider à participer de tout mon corps à leurs débauches. Je n'étais plus la pure,
la demi-vierge, comme ils s'amusaient à me surnommer, qui se contentais d'assister à leurs débordements. Je me mis à collectionner les amants,
les maîtresses d'un soir, d'une semaine, d'un mois. À me défoncer avec rage à toutes les drogues qui traînaient à ma portée.
J'appris le cynisme et l'inconstance : me débarrasser du revers de la main des sangsues humaines qui s'agrippaient à moi.
Ces amis qui m'appréciaient autrefois parce que je les fesais rire, que j'étais sans problème, découvraient maintenant, ahuris, décontenancés, que je les dépassais tous en vanité.
Je me souviens sans joies de ces années d'errance, de poursuite de tout plaisir violent et sans lendemain.
C'étais la course, le besoin de plus en plus violent d'expérimenter toutes les turpitudes.
Toutes ces années durant, j'étais à la poursuite de quelque chose, d'un absolu que je n'ai pas encore découvert, que je n'identifie pas bien encore.
*****
C'est dans cette atmosphère que je rencontrai un homme de classe, avec lequel je demeurai un an et que j'aurai amené au plus bas de lui-même.
Qui aura été entraîné par mon inconscience dans un tourbillon maléfique ; qui aura été renié par ses amis, ses relations de carrière et qui aura passé près de tout perdre.
C'étais un soir ou je flânais sur la rue de la Montagne. L'air doux, transportait par vagues des odeurs d'alcool.
J'avais déjà mon quota de drogue et la vie flottait autour de moi. Nous nous somme vus, nous nous sommes souri et nous somme tombés dans les brasl'un de l'autre.
Julien aussi nageait dans les vapeurs.
Aussi débuta le second chapitre de ma vie sensuelle. Julien était beau. grand et mince, le corps ferme, il portait élégament une tête de penseur un peu distrait à regard myope et sourire lumineux.
Très tôt après notre rencontre, je vins demeurer chez lui, dans une superbe maison de Notre-Dame-de-Grâce.
Nous avions, sans l'avoir soupçonné, une multitude de points communs. Nous étions tout deux bisexuels. Moi je le savais et j'en avais depuis longtemps pris mon parti. Lui, cependant, refoulait cet aspect de sa personnalité.
Il s'adonnait à la drogue et gardait à la maison tout ce qu'on pouvait désirer sous ce rapport.
Comme son travail l'amenait à recevoir souvent chez lui des gens de la haute société,
nous en usions largement pour nous sentir à l'aise.
Julien était consul à Montréal. Ce titre me grisait, j'eus très vite envie de le pousser à comettre des bêtises, à poser des gestes insensés, devant ces gens huppés qui papotaient du bout des lèvres autour de notre table.
Je l'amenais à se compromettre. Ses copains le prévenaient qu'il s'engageait sur une pente glissante ; ils me suppliaient de le laisser tranquille, de retenir mon instinct de provocation ; ils m'accusaient de le saigner à blanc.
Je n'avais cure de tous ces conseils. Ils attisaient au contraire mon désir d'acculer Julien au mur,
d'en faire un automate bien obéissant. Je n'ai d'ailleurs jamais compris pourquoi il répondait ainsi à mes caprices les plus farfelus. Par masochisme sans doute.
Dans cette riche maison, je redevenais telle que j'étais enfant ; une petite reine intraitable que l'on chouchoute et que l'on sert. J'allais voir jusqu'où descendrait Julien, jusqu'où le mènerait sa soumission à mon pouvoir.
Au cours des réceptions que nous donnions, je mettais le plus de soins possible à choquer, tant par mes vêtements que par mes attitudes. Il faut dire qu'à ces moments-là, nous étions toujours complètements givrés.
Lui donnait un coup de main à la cuisine ; moi, je ne faisais rien du tout. Dès que les invités arrivaient, je me retirais une bonne heure à la salle de bains. J'en ressortais en peignoir, décoiffée, nu-pieds, les yeux embués des vapeurs de la drogue.
Je jubilais à voir leur tête et Julien en devenait vert de rage.
Certain soir, je m'endormis carrément à table, les cheveux défaits sur la nappe, après avoir débité devant les invités une litanie d'insanités que m'inspiraient sans doute la réserve pincé de leurs visages graves.
Ou bien je devenais lascive, entreprenant des flirts poussés auprès de ces messieurs et de leurs épouses. Ces séances d'approches sensuelles se terminaient généralement par le départ des invités qui, par la suite, n'osaient plus remettre les pieds chez nous.
Moi je m'en contrefichais. Mais ce pauvre Julien, une fois dégrisé et descendu de son nuage, prenait conscience de l'énormité de nos sottises ; ces gens-là faisaient partie de son cercle d'affaires et il ne pouvait manquer de les rencontrer régulièrement.
Au début, la panique s'emparait de lui. Mais à la longue, il acquit une certaine indifférence et cessa de se soucier de sa réputation. Peu à peu, son étoile pâlissait.
Puis il y eut ce soir orgiaque qui manqua de ruiner pour de bon sa carrière.
Nous attendions des invités pour dix-neuf heures. Dès midi, nous flottions sur un nuage carabiné. Julien revenait d'un voyage d'une semaine et nous avions, la veille, amorcé à deux une partouze du tonerre.
Nous étions trois couples. Comme d'habitude, Julien se démenait à la cuisine, pendant que ...j'assumais les frais de la conversation ! Tout en engloutissant l'alcool par dessus les brumes du haschish et de la cocaïne.
J'étais en condition de givre total, ce que ne tardèrent point à remarquer les invités. Heureusement un des couples, bien au courant des habitudes de notre ménage, arrivait tant bien que mal à atténuer ma conduite malencontreuse.
Nous passâmes finalement à table ; potage, steak, marijuana et vins défilèrent, tandis que je me pressais au côté de Julien, lui enlevant sa cravate puis le caressant bravement sous la chemise.
Il n'y resta pas froid et sa main se lança bientôt sans pudeur à l'assaut de mon dos et de mes seins. Je laissai glisser ma main sous la table et entreprit de caresser son sexe.
À la fin du repas, je tenais bien fermement l'objet de ma convoitise et la succesion de nos gestes lascifs finit par alerter nos convives. D'autant que nous n'avions cure d'entrée en matière.
Nous passâmes au salon, un peu à l'écart, nos 4 invités feignaient d'être engagé dans une conversation sérieuse.
Je commençai doucement à masturber mon consul en chaleur. Bien isolés dans nos échanges sensuels, nous fûmes bientôt furieusement empêtrés dans nos actes. Je me souviens d'avoir invité nos compagnons à se joindre à nous.
Plus tard, les premières jouissances accomplies, je me rendis compte que nous étions seuls. J'ai même déploré le départ de nos invités. Je devais être en mal d'exhibitionnisme !
Le réveil du lendemain matin fut douloureux.
Tout autant que celui d'une autre réception du genre, où, cette fois, Julien avait pris l'initiative des opérations.
Excité par mes sous-entendus, givré de coca et grisé d'alcool, il s'était levé de table en annonçant à la ronde qu'il désirait faire l'amour avec moi, tout de suite et devant tout le monde.
Sur des musiques de Janis Joplin, il avait commencé un déshabillage progressif fort réussi. Et une fois nu, s'était mis à se caresser devant une assistance déroutée qui s'empressa de foutre le camp, nous laissant seuls à nous ébattre.
Julien devenait autant que moi exhibitionniste. Et très rapidement, ses tendances homosexuelles s'épanouirent au grand jour.
Un beau jeune homme blond habitait à côté de chez nous. Julien aimait converser avec lui et l'invitait souvent à prendre un verre. Un après-midi, je les trouvai tous deux enlacés et nus, très occupés à des discussions d'ordre tactile...
Julien avait enfin surmonté ses inhibitions. Je ressentis tous de même un choc. J'aurais voulu me mêler à leur jeux, mais on me fit sentir que j'étais de trop.
Notre liaison commença bientôt à s'effriter. Je m'en fis d'abord une raison, sortis seule plus souvent, rencontrai mes amis, puis passai des bars aux lits. Je découchais régulièrement.
Ses copains dont j'avais fait mes amants me suppliaient de laisser Julien, dans son intérêt.
Quand j'en eus assez de tourner en rond autour d'expérience affadies, je le quittai. J'appris par la suite qu'il avait sombré dans la dépression, avait failli réussir un suicide.
Il est devenu franchement homosexuel. Plusieurs de ses amis, se rendant compte de cela, l'ont lâchement abandonné. Devant les autres, il sut tout de même cacher son jeu :
dans le monde où il évolue, les déviations sexuelles sont très mal perçues.
J'aimais bien Julien. C'était un gentil compagnon, et ses phantasmes sexuels me servaient bien. Comme cette fois où j'amenais à la maison quelque jeune homme bien tourné dragué dans la rue ou au bar, pour une partie de jambe à trois.
Ou comme cette partouze d'homosexuels à laquelle il me convia, en spectatrice bien sûr ; il m'était défendu de participer, mais mon rôle de voyeuse attentive m'avait tout à fait comblée.
Cher Julien...
Retour