Roman
call-Girl
* Jeune bohème * (5)
;Le laxisme de mes parents m'aura permis, un peu plus tard, de vivre une adolescence sans frontière, où je pris rapidement contact avec certaines réalités de l'existence qui ne sont pas le lot de tout le monde.
Vers l'âge de seize ans, la marionnette avait décider de rompre les ficelles. Comme j'adorais fréquenter des gens plus agés que moi, ce ne fut pas long avant que je ne prenne goût aux mystérieuses folies des 18, 20 ans.
J'allais retrouver mes copains, des artistes présumés ou non, qui ne connaissaient de barrière ni à leurs envies ni à leurs plaisirs. Je découvris les caves enfumées, les drogues, l'alcool,
les cercles fermés d'existentialistes, les discussions interminables, la libre expression, les remises en question du système autour d'une table taché de café et de brûlures de cigarettes. C'était l'époque de la douce décadence et du "libre-baisage". Mais
malgré mon inclination prononcée pour les choses du sexe, ma virginité toute relative se conserva jusqu'à ce que je fis la rencontre de celui qui devint mon mari.
C'est que j'étais la plus jeune du groupe de peintres, de sculpteurs et de poètes autour duquel je gravitais ; aussi prenait-on à mon endroit une attitude paternaliste qui me plut bien pendant un certain temps. J'assistais aux beuveries,
aux partouzes, aux orgies en spectatrice attentive ; je n'avais droit qu'à des caresses superficielles.
Un cinéaste m'avait prise sous son aile. Il ne permettait à aucun garçon de coucher avec moi (je l'aurais pourtant tellement souhaité !). Je me souviens parfaitement d'une fois où il m'avait trouvée en compagnie d'un jeune
homme entreprenant dans une chambre de l'auberge où se rassemblait parfois le groupe. Sans dire un mot, cette espèce de poète de l'image aux mains de paysan s'était lourdement approché de mon prétendant, puis l'avait assomé d'un coup de poing.
Mon protecteur ne badinait pas avec mon hymen ! Et je n'ai jamais compris pourquoi il se croyait obligé de le préserver !
Je continuais de suivre mes copains. J'entrais chez moi à des heures impossibles. Jouant l'autruche, mes parents ne m'adressaient jamais de sérieuses remontrances. Si la fête avait duré toute la nuit, j'expliquais dans un mensonge
simpliste que j'avais dormi chez telle copine ; et celle-ci donnait la même explication cousue de fil blanc. Personne ne s'inquiétait.
Ce fut l'une des périodes les plus folle de ma vie. Je me d'fonçais à l'alcool et à la drogue. Je n'avais jamais manqué d'argent, mes parents m'en donnaient plus que jamais. J'étais heureuse, étourdie, irresponsable, et la vie était belle !
Je croyais aisément qu'il en serait toujours ainsi. Que toujours on m'entourerait, me protégerait. Et qu'un soir un homme viendrait, les mains pleines de baisers et d'argent, qu'il me griserait de nouveautés,
sourirait à tous mes caprices. Demain ressemblerait à aujourd'hui.
J'étais dans cette disposition d'esprit quand Philippe entra dans ma vie. Au milieu de la faune existentialiste que nous formions, ce grand jeune homme apparut comme une espèce de bête joyeuse, fougueuse, libre.
Quelle belle tête ! Cheveux en broussailles, touffus, vivants ; le teint sombre, le regard vif et avide, le rire facile, les gestes larges. Comme une bouffée d'air sauvage, il rafraîchit de sa seule présence l'atmosphère viciée d'odeurs
âcres que nous respirions. J'eus tout de suite envie de lui.
Il n'était pourtant pas disponible : son petit ami l'accompagnait partout. Car Philippe étais homosexuel. Il n'avait même jamais connu de femme. Il le dit un soir sans ambages, avec un rire cru.
Puis, se tournant vers moi, il déclara qu'il m'avait choisie pour le dépuceler !
Je ne sais vraiment pas pourquoi j'acceptai. Par défi sans doute, pour prouver à tous les autres que l'heure était venue pour moi de faire mes propres choix. Qu'il ait été homosexuel ne me posait aucun problème : ne l'étais-je pas aussi à
mes heures ? Et, ma foi, ces dispositions m'apparaissaient tout à fait normales. Puisqu'il m'invitait au lit, je devais lui inspirer un certain désir. Et puis j'en avais marre de la protection que mes gardes du corps accordaient au voile pudique
de ma féminité. Je connaissais mon corps depuis longtemps, je l'avais tant et si bien caressé que j'en savais par coeur les moindres réponses. J'avais maintenant envie d'une expérience nouvelle, j'aspirais ardemment à être pénétrée.
Il me prit par le bras et m'entraîna vers la sortie. Il pleuvait. Philippe n'avait pas de voiture. Et c'est en stop que nous traversâmes le pont Jacques-Cartier. Il connaissait un endroit, un motel de la rive-sud.
Mais il n'avait pas d'argent. C'est moi qui dus débourser le prix de la chambre. J'avais faim, j'avais froid, j'étais trempée. Pendant un moment, j'eus envie très fort de repartir. Mais mon orgueil l'emporta. J'allais relever le défi.
J'étais curieuse de voir comment il amorcerait ses avances. Il n'y en eut pour ainsi dire pas. Son attitude dans l'intimité étais la même que celle qu'il aborait devant les copains : c'étais un bonhomme tout d'une pièce. Je n'avais pas enlever
mon imper qu'il étais déjà tout nu, ses vêtements éparpillés autour de lui. Son corps ne le gênait pas, il le portait avec fierté. Cela me plut. Je l'imitai sans attendre. Mes hésitations avaient fondu comme neige au soleil.
C'est dans l'odeur du cuir et de la laine mouillés que nous fîmes l'amour. Il avait de grandes mains qui couraient brusquement sur mon corps ; sa bouche mordillait ma gorge. Il me retournait, me prenait dans ses bras, me serrait contre lui.
Avidement, il empoignait ma chevelure, m'embrassait sur tout le visage, tout le corps. Sa passion me brûlait, ses caresses ne me laissaient aucun répit, je haletais. Il dirigeait mes mains, ma bouche vers sa poitrine, son sexe.
Il ne disait rien, seuls des râles perdus jaillissaient de sa gorge. Puis, il poussa les oreillers sous mes hanches, et pénétra en moi. Je n'eus pas vraiment mal, ni de plaisir. Je devenais femme un peu bêtement, sans éblouissement ni feux de joie.
Mais je découvrais quelqu'un dont l'imagination ressemblait à la mienne. Quelqu'un qui brûlait de jouir, qui savait se jeter à corps perdu dans le tourbillon des sensations, quelqu'un pour qui le sexe était joie, explosion, gourmandise !
Fière de moi, agressive, je décidai dès le lendemain matin d'annoncer à ma mère la nouvelle de ma défloration ! Je rentrai à la maison, traînant Philippe par la main. "D'où viens-tu ?" fit ma mère, interloquée devant le sourire
provocateur de mon amant. "Du motel, maman. Je te présente Philippe". Je triomphais. Maman était atterrée. Je lui faisais très mal, j'en ressentais un atroce plaisir.
J'avais toujours été en conflit très intense avec ma mère. Je lui reprochais depuis longtemps de ne s'intéresser qu'à elle, de ne s'occuper de moi que dans la mesure où je répondais à ses aspirations, à ses rêves.
De m'avoir faite trop différente des autres, trop riche, trop bien vêtue. Me sentant brusquement devenue femme, j'affrontais une autre femme, dans une lutte ouverte, pour me prouver à moi-même la force de ma maturité toute neuve.
Maman s'affola, s'effondra. Je quittai la maison, la tête haute.
Je revins le soir même. Il ne fut question de rien. Encore une fois, mes parents préféraient tout oublier plutôt que de faire face au problème.
Philippe me fit l'amour deux autres fois. Je me retrouvai enceinte.
Ce n'était vraiment pas de chance. Au moment où je croyais pouvoir mordre dans la vie, où je commençais à peine à m'affranchir
de mon univers trop fermé, je me retrouvais prise au piège, responsable d'un être qui venait tout bouleverser. Je n'avais pourtant demandé qu'à vivre pleinement, qu'à profiter férocement de mes plaisirs.
Retour