Roman

call-Girl
* La maison de Westmount * (2)

Il y a dans ce quartier opulent, bourgeois et d'une réserve toute pudique, une maison qui fait l'angle de deux rues renommées pour leur élégance, leur richesse et leur haut standing.

Une maison semblable à toute celles qui bordent les avenues de Westmount-ma-chère. Elle n'est pas différente des autres non plus aujourd'hui. Et sans doute est-elle devenue la propriété d'une petite famille rangée de la meilleure société.

Toute de vieille pierre grise, comme il se doit, ses immenses fenêtres sérieusement drapées de riches tissus, c'est une maison de classe. Lorsque je la revois, au hasard de mes promenades en ville, les souvenirs affluent à mon esprit. Quel étonnement mêlé de dégoût puritain ne verrait-on poindre sur le visage de ceux qui l'habitent si on leur racontait par le détail les parties fines qui s'y sont déroulées, les joyeux accrocs aux bonnes moeurs qu'ont connus ces sobres murs gris. Si on leur apprenait que la chambre des maîtres, où dorment côte à côte un homme bien et sa femme bien, était, il y a moins de quatre ans, le cadre des scénarios érotiques les plus délurés, des soirées les plus gratinées où on copulait en groupe, dans la perversion la plus inouïe ! (À moins, -j'y pense avec le fou rire-, que ces gens distingués n'aient eux-mêmes été de distingués fidèles de cette chapelle huppée !)

Et je dis bien "scénarios". Car les quelques mois de vie trépidante que j'y ai connus ont été pour moi du théatre à l'état le plus pur.

La maison de Westmount a constitué à mes yeux la scène la plus fantastique, où j'ai été appelée à tenir un peu tous les rôles pour des partenaires qui mettaient littéralement à nu leur imagination sexuelle la plus folle. L'impureté à son meilleur, le théatre débridé des sens, le grand jeu des passions où les bien nantis venaient chercher, pendant quelques heures d'amour factice, ce qu'ils n'osaient cueillir ailleurs.

Une maison où entrait et sortait plus d'argent par mètre carré de plancher __ou de matelas si l'on préfère__ que n'importe quel commerce très florissant de la région.

Je n'ai jamais su qui se cachait derrière le paravent de nos corps, qui nous offrait gaillardement aux hommes et aux femmes les mieux pourvus en fortune ; qui, finalement, touchait les quarante pour cent de commision sur nos cachets.

La maison fut fermée par la police de Montréal : les filles, qui étaient toutes étrangères, furent déportées, après avoir payé rubis sur l'ongle d'imposantes amandes. Quand à moi, je fus sauvée in extremis par un appel téléphonique.

Je n'étais pas là au tomber du rideau. Il n'y eut pas de rappel.

Hormis les demoiselles des lieux, personne ne fut inquiété. Je me demanderai toujours si les propriétaires du "commerce" n'ont pas simplement voulu se débarrasser d'un personnel devenu dangereux. Depuis ce temps, je sais que la police m'a à l'oeil, que je funambule sur la corde raide, qu'on surveille le faux pas qui me permettrait de gagner une belle fiche judiciaire : le plus sûr moyen de m'arraisonner et de me déposer sous les pattes de quelque bon souteneur, ami du pouvoir qui gravite autour du sexe et de la drogue.

* * * * *

Les filles qui meublent ce genre de maison de classe supérieure ne sont pas issues du trottoir. Elles ne se prêtent pas aux pitreries que nous montrent les films : elles ne portent pas l'outrageux maquillage qui les caractérise au cinéma, ne font pas ostensiblement étalage de leurs appas, n'ont pas le clin d'oeil complice ombragé de faux cils, ni la bouche en coeur.

Elles sont, ces filles, comme toute demoiselle de bon aloi, fraîches et jolies, gentilles et souriantes, heureuses et pimpantes au yeux de celui qui ne décèle pas, dans leur allure, cette légère insistance du regard, ce sourire invitant plus qu'à la conversation.

Élégantes, plutôt cultivées, de personnalité souple, elles sont aussi à l'aise au bras d'un industriel invité à un souper officiel que derrière le rideau lourd et soyeux d'une alcôve. On les demande comme hôtesses pour les riches clients des sociétés multinationales aussi bien que comme partenaires à la partouze régulière d'un groupe d'avocats bien en vue.

Chez Christina, elles étaient six. Toutes talentueuses. Il y avait une Espagnole, une Marocaine, une Indienne, une Japonaise, une Américaine et une Haïtienne. Moi j'étais la septième, la seule francophone, l'aînée et la débutante... Christina dirigeait la maison et nous nous y présentions quand nous avions besoin d'argent ou le goût de jouer. En général, mes compagnes s'étaient fixé des objectifs : elles voulaient gagner tel montant chaque semaine. Elles entretenaient des ambitions, des rêves coûteux qu'elles entendaient réaliser le plus tôt possible. Pour cela, il leur fallait de l'argent, beaucoup d'argent avant de prendre __encore jeunes__ leur retraite.

Mais moi je suis fille de l'instant. Je passais à la maison le temps qu'il me plaisait d'y passer, selon mes humeurs, ou simplement mes fantaisies éphémères. J'étais venue à ce métier pour être libre, je n'allais pas y sacrifier ma bohème toute neuve !

Nos clients étaient des anglophones, avocats, hommes d'affaires et leurs amis, policiers aussi et finalement, hommes politiques. Ils étaient juifs à quatre-vingts pour cent. Le reste était constituer d'Asiatiques surtout et de personnages importants de passage dans la métropole. Nous savions d'eux quelques détails, sans plus.

Dans ce milieu, tu ne poses pas de question. Tu entres dans le jeu et tu en profites. Tu deviens automate __d'autant plus que la drogue y est omniprésente__ et c'est bien ainsi : les rapports restent superficiels. Tu planes, tu joues l'amante passionnée, tu réponds aux demandes, tu empoches et tu passes au suivant.

Tout ce beau monde nous était recommandé et les rendez-vous se prenaient par téléphone, avec la patronne. Les habitués avaient bien sûr des préférences pour l'une ou l'autre des filles. Nous pouvions refuser une invitation, mais il aurait été mal vu de le faire trop souvent.

Ceux qui connaissaient la maison pouvaient aussi se présenter à l'improviste. Dans la lourde porte d'entrée, un judas était percé et nous pouvions voir avant d'ouvrir à qui nous avions affaire.

Le client entrait et discutait des tarifs avec Christina. Quand à nous, nous étions assises dans le grand salon, une pièce riche, décorée de velours, de tentures chaudes, d'objets précieux. Comme dans les films ! À ceci près que nous n'y étions pas exposées à demi-nues sous de longs déshabillés transparents, le fume-cigarette aux lèvres.

Nous y étions dans nos robe de tous les jours, à peine maquillées, coiffées simplement. Une tenue de bureau, en somme. Nous papotions joyeusement, nous racontant avec avidité les manies des clients, les demandes spéciales. C'était d'une folle gaieté. Nous prenions un verre à l'occasion, mais la consommation la plus régulière était la drogue, que nous apportaient en cadeau les habitués de la maison. La "coke"était à l'honneur. Certaines filles en usaient particulièrement les jours où elles voulaient faire des heures supplémentaires, ramasser beaucoup de sous rapidement. Parce que la cocaïne décuple les forces, enlève l'envie de dormir, ce qui s'avérait pratique pour qui entendait faire une grosse semaine.

Une fois que le client avait fait connaître son choix, l'élue l'accompagneait à la chambre où on se dévêtait. Pendant que monsieur s'allongeait tout nu sur le lit, sa compagne passait un peignoir et se rendait à la salle de bains. Cela c'était primordial.

D'abord, c'était là que Christina nous rejoignait pour nous expliquer les désir du client. Pour l'amour "simple", le tarif était de $150. __l'argent était toujours déposé à l'entrée__ pour 30 minutes de travail. Mais une telle demande était rare : on ne vien pas dans une maison spécialisée pour obtenir ce qu'on peut facilement trouver chez soi.

Lorsqu'il s'agissait de quelque chose de spécial, il fallait donner exactement au client ce qu'il exigeait. Jamais moins, jamais plus. Il était interdit de changer le scénario. Les partenaires devaient s'en tenir à ce qui était convenu. Et il ne fallait surtout pas dépasser le temps réglementaire.

Le rite de la salle de bains valait aussi pour une autre raison importante. C'est que notre soupirant avait besoin d'être rassuré sur notre propreté. Certains hommes sont obsédés par la crainte des maladies vénériennes. Aussi, même si nous venions tout juste de prendre une douche __après les adieu du client précédent__, il fallait faire semblant, laisser couler l'eau des robinets, nous tremper au moin le bout des doigts.

En revenant à la chambre, nous apportions une serviette et du savon. Il s'agissait là de notre protection à nous. Nous étions ainsi rassurées sur la propreté relative de l'organe haletant dont nous allions nous servir. Surtout que les caresses buccales étaient très en demande.

Ce qui est fascinant dans ces rencontres passagères, c'est de constater combien ces hommes très actifs dans la vie quotidienne deviennent passifs au lit ! Il attendent, se laissent faire l'amour sans en rendre les gestes __ce qui dans bien des cas, il faut l'avouer, fait bien notre affaire !__ mais ressentent l'étonnant besoin de se prouver qu'ils procurent à leur compagne du moment une jouissance hors du commun.

C'est alors que la comédienne entre en jeu, pousse des soupirs à fendre l'âme, se convulse, s'accroche aux montants du lit, semblant désespérément attendre l'orgasme exceptionnel qui la fera mourir dans les bras de son Valentino, au moment même où il atteint sa plénitude !

Avec l'habitude, le rite devient aisé et on apprend rapidement à reconnaître la montée de l'orgasme du partenaire. Nul besoin de préciser que le nôtre était plus souvent qu'autrement du cinéma. Nos Tarzans le savaient bien, en leur for intérieur, mais il jouaient le jeu, en connaissaient parfaitement les règles immuables.

Quand l'amant de l'heure éprouvait des difficultés, nous nous servions de petits trucs faciles, comme la simple pression du doigt sous les testicules ou les contractions vaginales. Quand on dispose de 30 minutes, toilette comprise, on n'a pas de temps à perdre et le client le sait.

Les amours finies, venait le moment le plus difficile de tous : la sortie (comme au théatre...). Il nous fallait tenir le rôle jusqu'à la porte. Au bras de notre matador satisfait, nous traversions le salon, la démarche langoureuse, devant les mines moqueuses des autres filles, pendant que nous contenions notre fou de rire, surtout les fois où nous venions de donner suite à des fantaisies érotiques acrobatiques.

De toute façon, le coït banal était rarement notre lot. Après tout, nous étions des spécialistes et c'est pour nos spécialités qu'on venait nous voir.

À ce titre, c'était l'amour à trois qui remportait la palme. Un homme, deux femmes. De préférence, une Noire et une Blanche. C'était le grand jeu de la virilité. Et les variantes en étaient innombrables.

Les Juifs en étaient particulièrement friands. Pourtant, ils dédaignaient ouvertement les Noires. Jamais ils ne se permettaient d'ailleurs de les pénétrer. Mais ils exigeaient d'elle toutes les caresses imaginables. Ils aimaient surtout regarder les deux femmes se caresser mutuellement, puis ils terminaient l'exercise en pénétrant la Blanche tandis que la Noire les enveloppait de baisers et d'attouchements.

Je me souviendrai toujours d'une gifle retentissante que j'avais reçue... C'était la grande scène et ma copine, qui travaillait "dessous", devait mimer les gestes du fol amour pour le plaisir du galant, pendant que je les caressais par derrière. Je voyais mon amie, les mains crispées sur les barreaux du lit de cuivre, simuler le tremblement de terre, les yeux convulsés comme dans les meilleurs films du genre. C'était plus fort que moi, je ne pus résister et j'éclatai d'un rire libérateur qui n'en finissait plus.

Ce qui eut pour effet immédiat de briser la concentration du mâle, de lui faire perdre la précieuse érection dont il était si fier de faire profiter ma compagne. La situation était cocasse, le client dans tous ses états. Le spectacle frôlait l'irrémédiable gâchis.

Sous le choc de la gifle, mon rire s'arrêta net. Le client retrouva sur-le-champ sa rigidité et le spectacle reprit son cours, se termina dans l'apothéose escomptée. Bien sûr, on me sermonna copieusement par la suite et je passai bientôt maîtresse dans l'art de rire... intérieurement.

Je dois dire cependant que j'appréciais souvent ce genre de trio amoureux. Et comme je m'y retrouvais dans mon élément, ma dualité, je donnais satisfaction.

Dans les relations amoureuses, le meilleur moyen de me mettre en train est de me laisser me caresser moi-même. J'aime réveiller mon corps de mes doigts, le frôler longuement, le faire vibrer. Personne ne peut mieux que moi m'apporter la plénitude érotique.

Nombre de partenaires adorent me regarder agir et je sui bien aise de leur faire ce plaisir. Non seulement j'aime me faire l'amour, mais en couple, c'est moi qui dirige les préliminaires. Je suis l'élément actif. J'aime caresser.

Entre le grand salon et la chambre, il y avait des siècles de tabou. Paroles gentilles et beau langage faisaient place, dès la porte fermé sur la chambre, au comportement le plus grossier. Certains exigeaient de la part de leur maîtresse d'une heure les mots les plus orduriers. Ils jouissaient d'entendre les pires saletés. J'ai rapidement appris à me forger un vocabulaire à la mesure de leurs exigences.

Ils adoraient qu'on les traite comme des chiens. Plusieurs aspiraient tellement à oublier leur personnalité d'homme du monde, qu'ils nous obligeaient à les bafouer, leur infliger des punitions, comme la fessée, les attacher ou les rouer de coups.

Imaginez un instant cet avocat connu et reconnu, de belle allure, autoritaire et menant toute une société par le bout du nez, demander à une fille de l'invectiver, le sermonner, lui faire subir des sévices corporels.

Comme je n'étais pas encline à exercer des tortures, je me tenais le plus souvent possible loin de ces parties. Les filles comprenaient mal mon attitude. Elles étaient habituées de servir de bourreau et y prenaient d'ailleurs un malin plaisir. Ces demandes spéciales les mettaient en joie.

Et pour ces exigences, on payait le gros prix : le tarif officiel d'abord, qui pouvait atteindre les mille dollars, et ensuite les pourboires dont la générosité était dans la puissance de l'orgasme ainsi obtenu.

Dans la maison de Westmount, une chambre particulière avait été affectée aux requètes hors du commun. C'étais la plus grande des neuf pièces de plaisir.

Autour d'un lit d'eau, un riche décor assurait l'atmosphère propice : aux murs, au plafond, partout, des miroirs renvoyaient aux clients l'image érotique de leurs ébats. Lorsque Christina nous indiquait cette chambre, nous savions que le cirque était en ville !

Attenante à cette chambre, une magnifique salle de bains invitait à la débauche de l'imagination. C'est d'ailleurs là qu'on me fit la demande la plus extraordinaire de ces quelques mois de travail à Westmount.

J'étais l'ingénue de la troupe. On me trouvait angélique avec mes cheveux longs, mon visage fin et mon corps au charmes discrets. L'image que je projetais attisait plus d'un désir pervers : quelle joie de m'embrigader dans les scénarios les plus décadents... le mythe de l'ange déchu, sans doute.

Un soir, un beau Slave, qu'on voyait à l'occasion dans la maison quand ses affaires l'amenaient à Montréal, faillit m'obtenir comme protagoniste.

Fait pour séduire, jeune, la carrure athlétique, il pouvait sans nul doute et sans payer voir toutes les femmes se traîner à ses pieds. Mais il venait tout de même à la maison de Westmount-les-pattes-en-l'air. Il m'avait souvent demandée, mais je n'accédais jamais à ses requêtes, quoiqu'il augmentât chaque fois la mise. Ce soir-là, l'enchère avait été portée à $850. C'était bien tentant... Mais qu'exigeait-il de si mystérieux, ce personnage de roman ?

Ce gentil monsieur que la vie avait tellement gâté n'atteignait l'orgasme que lorsqu'une belle, assise à cheval sur lui dans la baignoire, lui urinait au visage. Ou mieux encore et plus repoussant, lorsqu'une courageuse ou une perverse acceptait, ultime jouissance, de le gratifier en pleine figure de ses excréments.

Rien que d'imaginer la scène... cela bloquai toute initiative de ma part. Je refusai une fois de plus sa compagnie. Ce fut la dernière. Je ne l'ai jamais revu.

Les exigences de certain hommes me glaçaient. Les partouzes à plusieurs, avec des spectateurs, me déplaisaient, tout autant que les mises en scènes de torture.

Entre les pastiches de films d'horreur et les trios de musique de chambre, il nous arrivait de recevoir quelque monsieur âgé, très digne, dont la seule exigence consistait à se laisser caresser. C'était pour nous un travail agréable, reposant, où l'art de converser et d'écouter tenait autant de place que la dextérité manuelle.

Je me souviens entre autres de cet attendrissant septuagénaire à tête blanche et sourire un peu triste qui me rendait visite régulièrement. Sa femme, qu'il adorait, était paralysée depuis près de vingt ans. Aussi venait-il à la maison de Westmount chercher un peu de chaleur humaine qui lui manquait chez lui. Courtoisement, il faisit un peu la conversation, puis s'étendait, nu, sous les couvertures. Seul émergeait le haut de son corps.

Mon travail, c'était de lui caresser les mamelons. Et seulement les mamelons. Le beau vieillard semblait ressentir à ces attouchements bien précis, la calme jouissance des consciences tranquilles : il ne trompait pas son épouse, ne partageait sa virilité avec personne et n'en bénéficiait même pas lui-même. Il ne posait aucun geste, se contentant de quelques frissons bien honnêtes. Je n'ai jamais su d'ailleurs si le mécanisme sans doute un peu rouillé de sa passion amoureuse pouvait encore fonctionner. Il repartait heureux, détendu, mystérieux, laissant sur l'oreiller un généreux pourboire.

*****

Les mâles avaient donc maints caprices auxquels j'apprenais jour après jour à répondre, avec plus de raffinement et de facilité. Mais il y avait les femmes !

Presque la moitié des clients étaient... des clientes ! J'ai toujours plu aux femmes. J'étais donc très en demande

Ces dames, comme moi, n'étaient pas lesbiennes. Elles préféraient les hommes mais par curiosité, goût du changement, besoin d'assouvissement ou par plaisir, tout simplement, elles s'offraient une femme de temps en temps. Je devrais plutôt dire : un androgyne.

Car si elles se complaisaient à caresser les seins d'une femme, elles tenaient tout de même au phallus, fût-il de caoutchouc rigide !

Ah ! ces grandes bourgeoises ! Pas une minute de répit. Elles se jetaient sur les caresses comme un chien sur un os. Elles palpaient, embrassaient la poitrine de leur partenaire avec gourmandise. En consommatrices averties, elles en prenaient pour leur argent. C'était le bal du diable : on avait l'impression que la danse ne finirait jamais. Jusqu'au moment de la pénétration. C'est là que notre "virilité"entrait en jeu !

Ce qu'il en faut de l'énergie pour pénétrer une femme exigeante ! Surtout avec un appareil mal ajusté (très étroite des hanches, j'avais de la difficulté à trouver des courroies à ma taille, de sorte que le godemichet glissait toujours). Ces chattes s'attendaient, toutes griffes dehors, à être pénétrées profondément, avec même une certaine violence. Il fallait exécuter des mouvements fermes et réguliers d'abord, puis accélérer ensuite le rythme sans souffler un seul instant. Quelle gymnastique ! Je sortais de ces scéances totalement épuisée, physiquement et moralement. Aussi tentais-je autant que possible d'échapper aux avances des femmes.

Il faut cependant dire à l'avantage de ces belles que leurs pourboires s'avéraient des plus intéressant. Quand leur satisfaction avait été à son comble, elles laissaient des bijoux. Je possède dans un coffret assez d'or pour exciter plus d'une convoitise. Mais je porte rarement de parures : je trouve cela ostentatoire et j'aime la simplicité.

*****

Pendant un certain temps, vint se joindre à l'équipe des hôtesses de la maison un petit jeune homme ardent, prêt comme un scout à rendre de multiple services.

Un de nos habitués l'avait déniché Dieu sait où et en avait tellement chanté les mérites, que Christina, piquée par la curiosité, avait accepté de le prendre à l'essai.

Adrian, comme nous, jouait de l'ambivalence. Il soignait aussi bien ces dames que ces messieurs. De taille moyenne, le teint sombre comme l'oeil et le poil, la tête haute et bouclée, la lèvre charnue, il semblait tout droit de quelque allégorie peinte sur toile : c'était le type parfait du pâtre grec, voire du beau Paris qui sut conquérir le coeur d'Hélène !

Le mystérieux Adrian devait manoeuvrer fort adroitement, à en juger par les regards encore gonflés de vapeur de ses partenaires qui descendaient tout sourire, le grand escalier. À quel subtiles variations de saute-mouton se livrait-il ? Je ne le sus hélas jamais, car l'éphèbe, quelques semaines à peine après son entrée chez nous, fut enlevé par une de ses passionnées amantes.

Cette femme, peu connue dans la maison, avait été follement séduite par les talents d'Adrian. Quelques rencontres lui avaient suffi. Elle s'était si bien amourachée du jeune homme et lui avait si bien déployé ses arguments __qui se chiffraient plus qu'ils ne s'analysaient__ qu'Adrian s'y rendit de bonne grâce. Nous ne revîmes ni la dame ni le valet. Le bel Adrian réservait désormais ses charmes.

*****

Quelque temps après, la police mettais fin à l'épisode westmountais.

Cet après-midi-là, deux hommes m'avaient accostée dans la rue, et sans détour m'avaient fait des propositions. J'avais jugé le manège bien grossier et les avais promptement envoyés promener.

Le soir fatidique, ils se présentèrent chez Christina. Sitôt la porte franchie, ils faisaient déjà leurs demandes : acceptaient les tarifs sans discuter et sortaient l'argent de leurs poches. Je considérais le manège de mon fauteuil, et trouvais la situation bien particulière. Nos clients, même les nouveaux, ne se comportaient pas avec cette rondeur de gestes. Je confiai mes appréhensions aux filles, leur recommandai la prudence. Quand Christina vint m'offrir le travail, je refusai et lui donnai mes raisons. Leurs visages, leur allure, leur façon de d'tailler du regard tout le décor, me paraissaient suspects. Rien n'y fit, la patronne sourit de mes craintes et délégua une autre fille auprès de ces messieurs.

Au même moment, on me demandait au téléphone : un ami me réclamait. Rien qui n'aurait pu attendre, mais je sautai sur l'occasion pour déguerpir. J'ai su le lendemain que mon intuition ne m'avait pas trompée. J'avais échappé de justesse au piège des ennuis juridiciaires.

On m'araconté que les deux clients en question étaient des détectives de la moralité. Forcé de quitter le pays dans les plus brefs d'lais, Christina me pria par téléphone de la retrouver à l'aéroport. Elle avait besoin d'argent et n'avait même pas eu le temps de passer à la banque.

J'ai toujours de ses nouvelles. Après quelques mois de travail à New York avec d'autres filles du groupe, elle s'est retirée sur une ferme, à la campagne, où elle élève des chevaux. Elle a ainsi réalisé un de ses vieux rêves. J'irais peut-être la voir, en Idaho, ou bien c'est elle, un jour, qui reviendra, plus décidée que jamais à saisir le plaisir et l'argent, et nous inventerons ensemble quelque autre jeu lucratif. Plus sûr, cette fois, que la maison de poupées.


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