Roman

call-Girl
* christina * (1)

C'est la veille de Noël et un bon ami, qui n'est pas un amant, m'invite à célébrer cette nuit dans un restaurant slave huppé de Montréal.

Nous buvons et bavardons beaucoup et comme il est de rigueur en semblables occasions, nous nous mettons tous deux en quète d'un amour de passage pour célébrer comme il se doit. J'ai remarqué au bar une splendide Noire, jeune, grande, fascinante avec ses oreilles parées de pierres, qui est manifestement là pour trouver un client.

Peter, mon copain, a pour sa part les yeux sur une grande rousse, assise avec la Noire pour les mêmes raisons semble-t-il.

Nous poursuivons copieusement le repas bien arrosé et nous rendons ensuite au bar pour le digestif, mais ayant en tête autre chose pour notre soif. Tel que prévu, nous abordons donc ces jolies filles et buvons un peu avec elles. Les approches sont rapides ; chacun sait parfaitement ce qu'il recherche.

La Noire s'appelle Christina, est originaire de Trinidad. L'autre est espagnole. Toutes deux ont le titre officiel de touristes, mais sont à Montréal pour travailler. Ce qui leur procure un enrichissement bien différent de celui qu'apportent la visite des musées et la contemplation des paysages !

Malheureusement pour Peter, l'Espagnole est déjà en touche avec d'autres clients du restaurant et les négociations s'avèrent prometteuses. Quant à l'Antillaise, elle semble tous de suite intéressée à moi. Nous terminons donc la soirée à trois au bar, et à trois ensuite dans une chambre d'hôtel.

Même plus tard en faisant le métier, j'ai toujours choisi les gens avec lesquels je fais l'amour. Il n'étais pas dans mes intentions de faire quoi que ce soit avec Peter. Nous sommes tout de même dans le même lit et Christina fait l'objet de toutes mes attentions, pendant que Peter s'occupe du mieux qu'il le peut des deux corps qui l'entourent. Comme ses caresses deviennent pressantes, je suggère à ma compagne de lui faire l'amour, ce qu'elle accepte.

Assise devant le lit, toute ma curiosité gourmande en éveil, je fume en regardant évoluer voluptueusement ce bel ébène vivant, jeune et magnifique, terriblement brûlant sur la neige des draps blancs. Je la vois, comme enroulée autour du corps de Peter, plus caresse elle-même que ses caresses expertes, usant de son savant doigté sans véritable passion, mais avec une technique savoureuse.

Mon ami sera comptent et il nous quittera rassasié et heureux de sa nuit. Christina et moi resterons ensemble de longues heures de pratiques amoureuses raffinées. Nous nous plaisons mutuellement et goûtons avidement nos corps fiévreux.

De répit en répit, Christina livre des brides de son histoire, m'expliquant qu'elle vit de ses charmes, qu'elle en vit d'ailleurs royalement bien. Belle comme une déesse, mystérieuse, une certaine magie trouble dans les gestes, elle a appris depuis l'âge de seize ans qu'elle pouvait profiter de ses atouts __pour son service d'abord__ en faisant croire à tous ceux qui la paient qu'elle est à leur disposition, qu'elle leur appartient, durant ces instants qu'elle leur rend merveilleux. J'en avais déjà un aperçu superbe.

Butinant de capitale en capitale, elle s'e'tais retrouvée à Montréal quelque temps auparavant. Elle travaille dans une maison de luxe, pour des cachets qui le sont aussi. Pendant que je gagne chichement ma vie à la petite semaine, dans un bureau terne, à effectuer des tâches incolores et sans saveur ! J'incite mon amante aux confidences, mais elle est très réservée, sur ses gardes même, comme il est normal en somme __je l'apprendrai plus tard__ dans tous les milieux de l'illégalité.

Nous nous revoyons selon nos désirs et je suis de plus en plus fascinée par ce qu'elle me raconte. Travailler quelques heures par semaine pour un salaire qui est sans commune mesure avec le mien, devenir l'objet du désir des hommes et des femmes, le centre de leurs attentions, sortir dans les boîtes chic, fureter dans les meilleures boutiques, obtenir tous les cadeaux qui me font envie : quel rêve !

Chris a de l'argent, beaucoup d'argent ; dans des coffrets de sûreté bien entendu, dans des banques aux États-Unis, bref à des endroits où "l'oeil exercé de la justice" et de l'impôt ne peut... mettre le nez ! La seule difficulté, c'est d'échapper à la surveillance de la police, de crainte d'être déportée, ce qui somme toute n'est pas si grave, puisque ce métier-là est en demande partout.

Le monde est un peu trouble de la prostitution me semble porter des lettres de noblesse en ce qui la concerne. Elle ne fait pas le trottoir, choisit ses heures et la plupart du temps ses clients, qui lui sont recommandés et qui ont, à ce qu'il semble, des tiroirs-caisses en guise de porte-feuille, ce qu'ils ne rechignent pas à rendre ostentatoire.

Elle ne connaît pas le sordide des tourist rooms, des motels de passe, des clients sales et vulgaires. Des boîtes à pègre où l'on se vend toute nu, dans l'odeur écoeurante des sueurs et des alcools. Des accouplements d'un quart d'heure où l'imagination n'a pas sa place, des petits vols qu'on se permet parfois pour boucler le budget de fin de mois.

Non, on loue ses services à prix fort. C'est la belle vie pour qui n'a jamais eu honte de soi et se complaît à démontrer ses talents.

La prostitution, c'est une des rares expériences que je n'ai encore tentées. Je suis jeune et belle et mes années m'ont facilement appris l'attirance que j'exerce sur les hommes aussi bien que sur les femmes. J'aime autant les uns que les autres, comme la plupart des filles de ce métier, d'ailleurs.

Je ne suis pas longue à me décider. Quelques semaines plus tard, je téléphone à Christ pour lui annoncer que je veux m'enrôler à ses côtés dans le bataillon joyeux du sexe et de ses pompes.

Je fais sans modestie le compte des qualités qui peuvent m'assurer le succès en ce domaine. Et mon goût de l'exhibitionnisme, ma soif de conquètes, mon habitude de la vie belle et facile, mon penchant pour l'argent, ma sensualité omniprésente et jusqu'à une certaine forfanterie ne sont pas pour me nuire.

Mais j'aborde la trentaine et, du moins dans ce milieu de luxure, on préfère de loin la fraîcheur toute relative de la jeunesse. Mais encore là, un narcissisme bien dosé ne m'a jamais déplu et je m'astreins depuis des années à cajoler à l'envi mon corps, à le maintenir dans sa meilleure forme, hors quelques périodes troubles de drogue et de dépression. Ce corps que je caresse avec plus de ferveur, que je stimule érotiquement depuis ma tendre adolescence, avec lequel j'aime tant me retrouver dans mes univers fantasmagoriques, ce corps est demeuré très jeune, ferme.

La vie ne m'a pas marquée. Je suis jolie, mais plus que de la joliesse, j'ai du charme. Il me vient de mes yeux, sans doute, que j'ai grands, bleus, aux pupilles dilatées, et qui savent soutenir sans vergogne le regard des autres, y déceler leur intimité et exciter leur désir.

J'ai l'épaule fine, la poitrine ronde, la hanche étroite, une allure de nymphette. Et mes cheveux presque roux habillent pudiquement mon dos, caressent l'oré de mes reins. Ange et panthère, ma dualité intrigue. J'ai de la séduction.

Chris tente gentiment de me faire changer d'idée, essaie de me dépeindre les choses sous un jour défavorable, mais ses recommandations n'ont pas de prise.

Je suis prête et elle cède, d'ailleurs convaincue que je saurai bien m'intégrer. D'autant plus que je suis sa petite amie dorénavant et, je l'apprends alors, que c'est elle qui gère cette maison que je n'ai pas encore vue. Elle n'a que vingt-quatre ans, Christina, mais possède déjà une riche expérience en ce domaine spécialisé. Elle m'apprendra ce que mon imagination fertile n'a pas encore eu le temps d'inventer.

* * * * *

Je fais donc mon entrée, en ce printemps 1976, au bal du milieu de l'amour montréalais, avec plus de frissons que de craintes, consciente et follement intéressée à profiter pleinement du jour qui passera, des mois, des années.

Il est difficile de pénètrer dans ce cercle. Moi, j'ai eu l'intuition nécessaire et la chance de découvrir la bonne personne à point nommé. Je suis mûre pour le monde survolté qui deviendra le mien. Je suis sûre que je trouverai là les moyens de continuer à planer dans mon monde intérieur, sans être dérangée outre mesure par les contingences harassantes de la vie à gagner. Enfin, je suis libre !


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