Roman
call-Girl
*Et le carrousel tourne !* (15)
---Deux heures ? Tu dis qu'il est deux heures de l'après-midi ? Eh bien, j'ai fait le tour de l'horloge !
---Désolé de te réveiller ! Je suppose que tu as "fêté" toute la nuit ?
---Pas du tout, mon cher. Je suis très sage ces temps-ci. Non. Je suis montée me baigner sur la terrasse vers neuf heures et je suis restée là toute la soirée.
---Jusqu'à deux heures du matin ? Il devait être joliment beau parleur !
---J'étais toute seule, je te dis. J'ai pensé. Oui, j'ai pensé... Ça m'arrive, tu sais...
---Je te crois sur parole, Cléo. Dis, puisque tu es sage de ce temps-ci, tu dois bien avoir une petite soirée à consacrer à ton vieux copain ?
---Pour toi, Peter, j'ai toujours le temps. Où tu veux aller ?
---Bah ! Y a un film qui me tente à l'Elysée. Après, on pourrait aller manger quelque part.
---Ça m'intéresse. Une petite sortie tranquille, en vieux camarades, c'est en plein ce qu'il me faut. Pas de frivolités.
Où est-ce qu'on se rencontre ?
---Au petit bar au coin de ta rue ? Vers 7 heures et demie. On aura le temps de prendre un verre, le film est à 9 heures.
C'est un film italien, ça raconte l'histoire...
---Je te fais confiance. Un film ou l'autre, tu sais...
---D'accord. À ce soir. Je t'embrasse.
---Salut Peter, à tout à l'heure.
J'ouvre lentement les rideaux, pour goûter à toutes petites doses le soleil de la mi-août. Il fait splendide. Je me sens des ailes.
Pour l'instant, une douche et un café. Puis je me choisirai une robe. J'ai envie d'être jolie; fraîche et jolie.
L'eau me gicle sur le corps, comme des milliers de caresses du bout des doigts. La rosée miroitante, inépuisable. L'eau qui dévale sur mon visage, sur mes épaules, mes seins
; l'eau indiscrète qui s'infiltre entre mes cuisses, se faufile en silons humides le long de mes jambes.. Je me tourne pour offrir mon dos à la fontaine. Je soulève ma chevelure pour que ma nuque goûte la fraîcheur de l'eau.
Un peu de mousse aux creux de la main et ma main glisse sur mon corps, s'attardant à chaque creux, sur chaque courbe.
Je m'assèche. La serviette de ratine blanche à la fois douce et rugueuse frictionne ma peau qui prend des couleurs de pêche.
Le miroir plein mur me renvoie mon image. Je m'approche. Face à la glace, je scrute mon visage. Du bout des doigts je presse le bas de mon visage : oui la chair a pris de la molesse.
Et qu'est-ce que ces deux rides qui s'approfondissent des ailes du nez aux commisures de la bouche ? Je m'inquiète.
Le cou est encore beau. Mes seins si ferme ont atténué leur profil. Ma taille, mon ventre , mes hanches. Un peu plus rond qu'avant ! Je regarde mes mains, elle sont moin souple.
Que m'arrive-t-il ?
Je vieilli. La vérité toute nue : je n'ai plus trente ans. Le miroir ne ment jamais.
Il fait clair encore, mais le petit bar a fermé ses rideaux. J'entre. Peter est déjà là. Il m'apperçoit, son visage s'éclaire.
Nous échangeons les banalités d'usage. Les dernières nouvelles.
---Tu as l'air fatiguée.
---Non Peter ce n'est pas la fatigue. C'est l'âge qui s'inscrit ligne par ligne sur mon visage. De quoi vais-je pouvoir vivre ?
---Qu'est-ce que tu racontes ?
Et toutes mes craintes s'expriment.
Peter se montre très doux, très compréhensif. Il m'encourage, me conseille. Pourquoi ne pas me ranger ?
Après tout, c'est sûrement moin difficile qu'on ne le croit.
Lui, Peter, ne mène t-il pas une vie de routine ? Et cela ne l'empêche pas de s'amuser, de se laisser tenter par l'aventure.
*****
Le bureau est très grand, très vert et très lumineux. Une série de pupitres, de chaises, de machines à écrire, de téléphones, avec plusieurs têtes penchées sur un travail absorbant.
Le chef du personnel me présente à tout le monde. Chaque regard me toise, scrute l'étrangère que je suis.
J'ai déniché cet emploi temporaire pour voir si j'arriverais à me ranger, à entrer dans les normes de la société organisée. J'en est assez et la semaine n'est même pas terminée. Comment me rendrai-je au bout du mois.
Je m'amuse à imaginer mille catastrophes hilarantes.
Enfin vendredi soir ! Je quitte précipitamment le bureau. Ah ! retrouver mon appartement, faire des projets pour la soirée.
---Bonsoir, mademoiselle ! Vous vous souvenez de moi ?
Mais oui, je me souviens de ce quinquagénaire très digne. Son nom ? Ah ! oui, Jones. Monsieur Andrew Jones.
Américain, fréquents séjours à Montréal pour affaires. De l'humour et beaucoup d'argent.
Nous nous amusons terriblement. J'ai l'impression de ne pas avoir ri depuis trois ans, tellement la semaine m'a parue longue.
Je lui dis toute ma gratitude d'être là. J'ai envie de l'embrasser. Je me sens jeune et c'est fantastique !
*****
Mes valises sont prêtes. L'appartement est rangé, je le retrouverai tout coquet dans quelques mois, ou peut-être quelques années.
Andrew sait faire les choses. C'est un vrai gentleman. M'offrir ainsi de voyager avec lui le temps que je voudrai, n'est-ce pas magnifique ?
Nous sommes de la même race. Des marginaux, des bohèmes, des assoiffés, des êtres libres !
L'Europe pour commencer. Les grands hôtels, la bonne chère, la drogue, les nuits folles, de l'argent, de l'argent et encore beaucoup d'argent !
On sonne. Andrew me fait la bise, saisit mes bagages. Je ferme la porte.
En avant, la musique !
FIN
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